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On sait l’usage que toutes les religions ont fait de l’idée de la mort et de la crainte qu’elle inspire : aussi les poétesses de notre temps écartent-elles de toutes leurs forces cette image haïe. Mais, à leurs yeux, la mort a dépouillé l’apparence de l’épouvantail moyen-âgeux : pour elles, être morte, c’est tout simplement cesser d’être jeune, c’est devenir cette ombre décolorée qui, avec un cœur encore frémissant, passe les eaux du Léthé.

Cette insouciance pour tout ce qui n’est pas la vie intense, les joies de la terre, cet éloignement de toute méditation sévère, pourrait bien, il est vrai, ne durer, chez les poétesses de notre temps, que ce que dure leur jeunesse elle-même. Ce ne serait pas une surprise trop forte de voir, à l’heure des cheveux blancs, se joindre des mains qui se vantèrent de n’avoir été « emplies que de caresses, x Et sans même attendre que la beauté passe et que les pensées mélancoliques apparaissent à l’automne de la vie, il suffit que la douleur survienne, ou que se manifeste la précoce usure d’un cœur qui a trop battu, pour que, dans l’âme féminine, vidée de curiosité, reparaisse l’image divinisée de Celui qui peut emplir une âme, si insatiable soit-elle.


… C’est toujours soi qu’on cherche en croyant qu’on s’évade,


écrit Mme de Noailles dans une pièce où elle s’efforce de retourner à Dieu, sans l’humilité ni la naïveté d’un Verlaine, mais avec un désir, chez elle, nouveau, de s’immoler à quelqu’un qui ne serait pas soi-même :


Mon Dieu, je ne sais rien, mais je sais que je souffre,
Au delà de l’appui et du secours humain,
Et puisque tout les ponts sont rompus sur le gouffre,
Je vous nommerai Dieu et je vous tends la main.
Mon esprit est sans foi, je ne puis vous connaître,
Mais mon courage est vif et mon corps fatigué,
Un grand désir suffit à vous faire renaître :
Je vous possède enfin puisque vous me manquez.


Dans cet élan, qu’elle considère sans doute comme un abandon complet de soi, Mme de Noailles n’abdique point sa personnalité ; elle ne s’attarde pas à écouter si, oui ou non, Dieu lui répond. Et, avec une survivance d’orgueil un peu inquiétante chez une néophyte, elle affirme que sa présence devant Dieu est