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Dans une chapelle latérale, M. Henri de Régnier agenouille deux moines en froc auxquels il ordonne de passer une nuit de veillée funèbre devant le catafalque de Don Juan ; ces prêtres trouvent juste que « celui qui a souillé la neige » et « corrompu le feu » se lamente en enfer. Mais voici qu’aux premières lueurs du jour, les religieux étonnés voient le visage du mort rayonner : il se transfigure. En même temps, trois femmes en pleurs, trois amoureuses fidèles pénètrent dans l’église et au moment où elles s’approchent du Tombeau,


Afin de dire au mort aimé l’adieu suprême…


elles aperçoivent, au fond de la chapelle, quelqu’un qui, à deux mains, soulève la pierre sépulcrale :


… Et toutes trois, Anna, Elvire et l’Enfant pâle
Virent qu’ayant enfin descellé le bloc lourd,
Debout, leur souriait, et le pied sur la dalle —
Un Ange aux ailes d’or et pareil à l’Amour !


Le penchant du public se dessine si nettement en faveur des peintures évangéliques et des émotions pieuses, que les poètes relèvent les tréteaux qui, en face de l’Église, servirent à la représentation des Mystères.

Quand on apprit que Catulle Mendès se proposait de mettre à la scène la vocation de Sainte Thérèse, plus d’un, même parmi ceux qu’avait émus son mystérieux et métaphysique poème Hespérus, craignirent que, cédant à un penchant ancien, il n’abusât de la phraséologie pour exprimer les émotions de l’amour divin avec les ressources d’une sensualité trop humaine. Mais Mendès apparut, en cette occasion, comme si, lui aussi, il avait été touché par l’ange purificateur.

M. Edmond Rostand, si évidemment soutenu par ce don qui, jadis, a fait assimiler les poètes aux prophètes, et grâce auquel ils expriment, les premiers, la pensée et le sentiment des foules, cède, autant qu’il est en lui de le faire, au courant d’évangélisme littéraire où se plongent ses contemporains. Il écrit La Samaritaine. Peu importe si la Terre Sainte prend ici la couleur de la Provence, et si le témoignage est rendu non pas par un poète chrétien enivré de sa foi, mais par un poète de cour d’amour, par un « troubadour du temps de la reine Jeanne. » On ne joue pas impunément avec le feu de l’autel. À ces artistes,