Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/950

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que celles que nous révèlent à la fois ses propres discours et chacun de ses actes. Il faut la voir, dans l’émouvante biographie de M. Jœrgensen, se soumettant docilement aux moindres injonctions de ces frères Mineurs entre les mains desquels elle s’était confiée. « Tu ne penses jamais qu’à toi seule, Marguerite ! — lui affirmait souvent la voix divine, qui se bornait sans doute à traduire le murmure secret de sa conscience intime. — Tu es pareille à un enfant qui n’a pas d’autre idée que de s’allaiter au sein maternel ! » Et, en effet, nous sentons que dès le premier jour tout son être aspire à cette vie solitaire et contemplative dont elle se plaint à Jésus que ses directeurs se refusent à la lui permettre. Mais non : d’année en année les frères Mineurs lui ordonnent d’ajourner l’accomplissement de son rêve, pour s’employer activement au service d’autrui. En vain, à deux reprises, elle tente de s’enfuir dans la montagne, pour pouvoir prier et méditer plus à l’aise : tout de suite le frère Bevegnati ou un autre des moines l’oblige à redescendre de sa pieuse retraite, à redescendre vers la ville où l’attend une foule de misères, corporelles et morales, à soulager.

Car le spectacle de cette lutte acharnée contre soi-même, et de ce mélange merveilleux d’ardeur mystique et de docilité, a fini par triompher des préventions qu’avait d’abord éveillées l’apparente dureté de la pénitente. Non seulement tous les malades veulent l’avoir pour panser leurs plaies et pour veiller à leur chevet : on s’est aperçu, aussi, que personne ne s’entendait autant qu’elle à panser les plaies cachées des âmes, et sans cesse maintenant les habitans de la ville et des environs s’adressent à elle pour recevoir des encouragemens, des conseils, parfois même de terribles reproches qui, venus d’une telle bouche, tombent droit au fond des cœurs pour les apaiser et les purifier. « Qui donc, — nous dit son premier biographe, — qui donc pourrait compter les Espagnols et les Romains et les gens de la Pouille, les hommes et les femmes, les clercs et les laïcs, les moines et les nonnes, qui sont accourus de Pérouse et de Gubbio, de Citta di Castello et de Borgo san Sepolcro, de Florence et de Sienne, pour solliciter l’avis de Marguerite et pour être introduit par elle dans les voies du salut ? »


Dans le même volume où il nous raconte, avec son talent habituel d’historien, de poète, et de psychologue, cette vie mouvementée de sainte Marguerite de Cortone, M. Johannes Jœrgensen déroule également sous nos yeux l’existence plus tranquille et plus uniforme d’une autre visionnaire italienne du XIIIe siècle, cette sainte Angèle de