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sais de petites cités qui les adorent aussi. Et cependant elles sont soumises à des cités impies, qui sont plus grandes qu’elles : le nombre des lances triomphe, parce qu’il est le plus fort. J’en suis certain ; si vous priiez les Dieux sans rien faire et si vous attendiez d’eux, les bras croisés, votre nourriture, vous sauriez vite qu’il n’y en a pas. Cest le bonheur ou le malheur des hommes qui leur donnent une existence. »

Ceci est presque le leitmotiv d’Euripide et M. Masqueray a bien raison de dire que « ces critiques étaient si familières à son esprit qu’elles formaient, pour ainsi parler, une partie de sa conscience et qu’il les exprimait chaque fois d’une façon différente, selon l'âme dont il douait ses personnages ; » mais toujours dans un esprit identique au fond.

Sa pensée sur ce point semble bien résumée dans ce vers qui est bien de lui ;


Si les Dieux font le mal, ils ne sont pas des Dieux.


Ce vers renferme toute une philosophie qui va se constituer pour se répandre et qui, se mêlant à des idées religieuses et à des idées morales venues de l’Orient, formera une religion radicalement destructrice du Paganisme.

Pour autant Euripide est-il athée ? On l’a certainement un peu cru autour de lui. Aristophane fait dire à une pauvre veuve, mère de cinq enfans en bas âge et qui cherche à gagner sa vie par un petit commerce d’objets de piété : « Je vivais tant bien que mal en tressant aux Dieux des couronnes ; mais voilà que cet individu a persuadé aux spectateurs, dans ses pièces, qu’il n’y a pas de Dieux : depuis ce jour, je ne vends plus la moitié de mes couronnes. »

Il est bien certain qu’Euripide n’a pas craint de faire prononcer sur le théâtre d’Athènes qui était un temple, soit des paroles nettement athéistiques, soit des paroles dont la conclusion naturelle devait être l’athéisme.

Mais était-il athée pour cela ? Il n’y a guère lieu de le croire. D’abord, de la part d’un Grec ce serait bien extraordinaire. Je ne dis pas que ce fût impossible. Il y a des exemples peu douteux. Mais je dis que ce serait extraordinaire. Ensuite il est visible que, de temps en temps, Euripide cherche à excuser les Dieux en rejetant, en détournant plutôt les crimes des Dieux sur les hommes. Dans Iphigénie à Aulis, c’est assez apparent.