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Ailleurs, c’est le vénérable roi Thésée, c’est le saint roi Thésée, le Moïse ou le Numa d’Athènes qui fait ces déclarations bien graves : « Pas un homme n’est à làbri des coups du sort ; pas un Dieu non plus, si les poètes ne mentent pas. N’ont-ils pas formé entre eux des unions contre toute loi ? Pour régner, n’ont-ils pas chargé leurs pères de liens honteux ? Et pourtant ils habitent l’Olympe et ils portent légèrement leurs crimes. »

Ici le blasphème est net, ou tout au moins l’incrimination est formelle.

Héraclès n’est pas moins sévère à l’égard de ces Dieux qui semblent l’avoir persécuté non pas quoiqu’il fût juste, mais parce qu’il était un juste : « Zeus, quel que soit le Dieu qu’on appelle de ce nom, a fait de moi dès ma naissance l’ennemi d’Héra. J’étais encore au berceau ; cette déesse jalouse m’a envoyé des serpens pour me tuer. Et quels travaux plus tard ai-je eu à accomplir sur la terre et dans l’Erèbe pour en arriver en dernier à ceci : massacrer mes propres enfants ! Enfin Héra doit être heureuse. Qu’elle danse donc, l’illustre épouse de Zeus, qu’elle batte de sa sandale le sol divin de l’Olympe ! Elle a obtenu ce qu’elle voulait. J’étais le premier des Grecs ; elle m’a abattu, anéanti. Qui voudra désormais adresser des prières à une divinité pareille ? Pour une femme, pour une infidélité de son époux, elle m’a perdu, moi, le bienfaiteur des Grecs. Et je ne lui avais rien fait. »

Voilà (et je vous prie de croire que je pourrais citer beaucoup d’autres exemples), pour ce qui est du mal que les Dieux font eux-mêmes, spontanément.

Pour ce qui est du mal qu’ils permettent et que par conséquent ils font encore ; car puisqu’ils pourraient l’empêcher, c’est encore le faire, écoutons Euripide. Bellérophon,à la vérité classé par l’antiquité, pour ainsi parler, comme l’ennemi des Dieux, mais à qui Euripide semble accorder bien volontiers et maintenir bien complaisammenl la parole, s’exprime ainsi : « On affirme que dans le ciel il y a des Dieux ! Il n’y en a pas, non, il n’y en a pas. Cessez de répéter sottement cette vieillerie. Ne me croyez pas sur parole, voyez de vos propres yeux. Je prétends, moi, que les tyrans font périr les hommes par milliers, qu’ils les dépouillent de leurs biens, qu’au mépris de la foi jurée, ils détruisent les cités et que, malgré cela, ils sont plus heureux que ceux qui adorent chaque jour tranquillement les immortels. Je