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dons-nous ce qu’Euripide a pensé des Dieux de son temps au point de vue de l’existence du mal sur la terre.

C’est la grande question, personne ne l’ignore, de toute théodicée, ancienne, moderne et future. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire dire que même il n’y en a pas d’autre.

Les Dieux ont créé le monde ; les Dieux veulent ce qui est dans le monde ; le monde est la représentation de leur volonté ; en particulier ce qui arrive aux hommes est leur ouvrage, puisque, d’une part, ils inspirent aux hommes leurs actes ; puisque, d’autre part, ils donnent aux hommes bonheur ou malheur, succès ou échec dans leurs entreprises, santé ou maladie, mort prompte ou tardive, etc.

Or il existe dans le monde du mal, ce qui semble indiquer de la part des Dieux désir de mal, volonté de mal, méchanceté.

Et, de plus, il existe du mal immérité, ce qui semble révéler des Dieux injustes.

Remarquez que la question est moins embarrassante pour un polythéiste que pour un monothéiste. Assurément ; car le polythéiste, croyant à une multitude de Dieux, peut croire qu’il y a des Dieux bons et des Dieux méchans et qu’ils sont en conflit et en lutte entre eux. Au fond, — et ceux qui ramènent toutes choses à une question de sociologie, en quoi, du reste, j’estime qu’ils ont tort, l’ont dit bien longtemps avant moi, — la conception mythologique est une idée aristocratique et les Grecs ont envisagé les Dieux comme une cité grecque. Il y a une aristocratie céleste : dans cette aristocratie il y a de très bons aristocrates qui aiment le peuple, c’est-à-dire les hommes, toujours ombrageux du reste et capables de Némésis ; mais enfin qui aiment le peuple, c’est-à-dire les hommes et qui leur font du bien. Et il y a des Dieux méchans, malintentionnés, qui versent les maux sur les hommes par mauvais esprit.

Ceci explique suffisamment l’existence sur la terre du mal, et du mal immérité.

Le monothéiste au contraire, ne concevant qu’un seul Dieu, est bien forcé de lui attribuer, à lui comme cause et comme cause unique, tout le bien et tout le mal ; et il est effrayé et scandalisé du mal qui vient de Dieu . La présence du mal sur la terre est donc moins embarrassante pour un ancien que pour un moderne.