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Diké. Les Dieux sont injustes, soit ; ils sont ou contre la justice ou indifférents à la justice. Eh bien ! de la justice même faisons un Dieu que nous opposerons aux autres.

Et il l’a fait, avec je ne sais quelle hésitation quelcfuefois, avec une singulière force très souvent. Il faut ren applaudir d’abord, el puis voir ensuite là le signe curieux et d’une évolution de la pensée morale des Grecs et d’une faculté de jeu artistique qui leur est toute particulière. La lutte entre le passé et l’avenir est, chez eux, celle-ci : l’homme se posant contre la nature. C’est le spectacle de la nature qui a donné autrefois aux hommes l’idée de Dieux immoraux. La conscience, en se développant, leur donne l’idée de la morale. Donc l’homme va se trouver opposé aux Dieux aussi bien qu’à la nature. Non pas ! Comme ils sont, par leur complexion naturelle, créateurs de Dieux, ils vont, seulement, ou ils vont au contraire, comme on oudra, créer des Dieux nouveaux, selon leur conscience. En voici un qui crée Diké ; car à très peu près on peut dire qu’il l’a créée. Tout à l’heure il en viendra un qui créera les Idées, êtres réels, tout de raison et d’idéal, mais êtres réels, qui constituent toute une mythologie nouvelle, tout un Olympe. Platon méprise l’ancienne mythologie et ceux qui la chantent, mais parce qu’il est Grec, il ne peut détruire une mythologie que par une autre et en en créant une autre.

Ainsi, très évidemment, commençait à faire Euripide.

Quoi qu’il en soit, il y avait, pour parler comme les Allemands, une antinomie entre sa matière et son art, ou plutôt entre sa matière et ses idées inspirant son art, et parce qu’il était très habile, il s’en est tiré brillamment, mais non pas sans embarras et non sans que de son embarras mille traces, embarrassantes à leur tour, ne restassent dans ses ouvrages.

Le fond de ma pensée, le voici, tout naïvement. Il était né pour faire des drames, des drames réalistes, des drames bourgeois, à telles enseignes que ses tragédies mythiques prennent à chaque instant le caractère, la couleur et le ton de drames bourgeois. Il aurait dû inventer franchement le drame bourgeois athénien, être un La Chaussée de génie, ou plutôt un premier Ménandre, plus pathétique, sans doute et plus profond que le second. C’est une vision. Elle me paraît assez sensée.


Prenant maintenant Euripide comme philosophe, deman-