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sont souvent contradictoires, ce qu’on ne peut guère reprocher à Euripide, non plus qu’à Nietzsche, non plus qu’à personne, le seul moyen d’avoir beaucoup d’idées étant d’en avoir qui se contredisent et le seul moyen de ne se contredire point étant de n’en avoir qu’une et même de n’en pas avoir du tout.

Ce qu’il a très bien vu ensuite, c’est que ses idées contrariant son art, Euripide a été souvent gêné et qu’il doit à cette gêne et les imperfections de ses tragédies et aussi son originalité de poète tragique. — Que de choses dans ce livre ! Eh ! oui, il y a beaucoup de choses dans le livre de M. Masqueray.

Euripide est une manière de positiviste très « moral » et très « sensible, » quelque chose par conséquent comme un homme du xviiie siècle qui serait assez mêlé d’un homme du xixe siècle. Le voilà en gros, hélas ! car je songe à toutes les nuances que je suis forcé d’oublier volontairement ; mais enfin le voilà en gros.

Par suite, Euripide verra la vie sous un autre angle que ses prédécesseurs, soit au théâtre, soit dans la littérature générale. Pour lui, la vie est triste et triste à mesure qu’elle avance. Les enfans (qu’il semble avoir adorés) sont les plus heureux d’entre les vivans ; les jeunes gens sont heureux encore, mais trop tourmentés par l’amour, ce « tyran des hommes et des Dieux ; » les hommes aussi (représentés chez lui surtout par Ulysse, Agamemnon et Ménélas) sont tourmentés par l’ambition, laquelle a pour principal effet d'avilir l’homme ; et enfin la vieillesse, qu’Euripide a toujours représentée tremblotante, chevrotante et bronchant à chaque pas, est le plus douloureux état qui soit au monde

Somme toute, la vie est un fléau, et mieux vaudrait pour tous n’être pas nés ; car les hommes sont faibles et ils ne sont pas protégés par les Dieux, si tant est qu’il ne faille pas dire qu’ils sont persécutés par les Dieux.

Mais ce qui est bien significatif, et ici Euripide n’est pas si loin d’Aristophane, l’homme qu’Euripide considère comme le plus heureux des hommes, c’est « le pauvre » (je ne dis pas l’indigent), c’est le travailleur libre des champs, l’Autourgos, qui laboure péniblement son champ et qui en vit péniblement. Voilà l’homme heureux autant que le mot peut avoir un sens, voilà l’homme digne, à la fois modeste et fier, qui peut être content de lui et des Dieux. Par trois ou quatre fois, Euripide