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uniforme, un procédé apparent de facture, cette marque de fabrique, brutale ou étrange, qu’exigent aujourd’hui du moindre débutant, et pour toute sa vie, la légèreté des critiques, l’ignorance des acheteurs et la cupidité des marchands ?

Le fait est que Paul Huet, comme tous les vrais artistes, n’a jamais cherché qu’à exprimer le mieux possible ce qu’il sentait. A mesure que sa virtuosité technique s’enrichissait de moyens d’expression plus complets par des assimilations étrangères et par son expérience personnelle, il les appliquait, les uns ou les autres, suivant les cas. Il ne dissimule point, d’abord, ce qu’il peut devoir aux ancêtres, et, plus tard, ne craint point de ressembler à certains contemporains. Il le craint d’autant moins, qu’à bien voir les dates, il les a, le plus souvent, précédés. Cette souplesse du rendu est surtout remarquable dans les aquarelles, où il fixait, avec une vivacité qu’admiraient ses confrères, les mouvemens les plus passagers de ciels nuageux ou de vagues agitées qu’il aimait à contempler. Dans ses peintures, où il a recherché souvent des effets très compliqués et parfois subtils, sa main est plus lourde, mois lorsqu’il s’agit d’une vision intense, longuement et profondément mûrie, comme celle de l’Inondation à Saint-Cloud, par exemple, des Falaises de Houlgate ou du Bois de la Haye, la réalisation s’en opère, sans effort, avec une largeur et une liberté magistrales. Tous ces grands tableaux, nous disent ses proches, furent, dans leur forme définitive, exécutés, en quelques jours, avec un entrain et une verve d’improvisateur. C’est bien là, à vrai dire, devant ces désordres et ces souffrances des élémens déchaînés, comme devant la majesté et la sérénité des végétations gigantesques et des vastes espaces, qu’il se plaît et s’attarde, qu’il revient constamment, qu’il se sent et se montre lui-même. Son âme grave et triste cherche moins dans la nature des sourires et des caresses que des austérités, des inquiétudes, des colères. Et c’est pourquoi, sans doute, ses solitudes forestières, si imposantes et mystérieuses, ses marécages inquiétans au fond de vallées obscures, ses amoncellemens de nuées menaçantes au-dessus des vagues en furie ou des campagnes terrifiées, étonneront plus qu’ils ne séduiront les amateurs d’humeur trop aimable pour s’attarder à la contemplation d’œuvres sévères dont les harmonies tristes se sont, parfois encore, alourdies et assourdies, fanées sinon éteintes, sous l’impitoyable action du temps.