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d’amateurs et de spécialistes, mais qui n’en ont guère plus, pour le grand public, que les brouillons raturés des grands écrivains extraits péniblement, par une érudition méritoire, mais parfois fort indiscrète et tatillonne, de leurs tiroirs oubliés.

En examinant, suivant l’ordre chronologique, les grandes œuvres, celles dont le peintre s’est déclaré résolument responsable, on est vite convaincu, à la fois, de l’avance prise par lui dans l’affirmation ou l’indication de presque tous les élémens qui devaient successivement servir au renouvellement de son art, et de sa supériorité dans l’association de qualités imaginatives et techniques le plus souvent séparées avant lui et après lui, observation et émotion, vérité et beauté, science et poésie, exactitude et noblesse, dessin et couleur, forme et lumière. Qu’il ait toujours réussi dans cette entreprise hardie, ce serait lui reconnaître un talent plus sûr et plus rare qu’il n’en eut et n’en crut jamais avoir ; mais il est visible que, dès l’abord, il comprit son art avec une superbe ampleur et que, durant toute sa carrière, il refusa de la comprendre autrement. Entre son premier tableau à dix-neuf ans et son dernier à soixante-six, s’échelonne une série d’œuvres capitales, dont l’unité, la vérité, la grandeur, portent l’empreinte inoubliable d’une imagination puissante, sincèrement et profondément émue par le spectacle vivant des beautés naturelles en action, et trouvant à son service la science attentive d’un dessinateur scrupuleux et la virtuosité technique d’un coloriste chaleureux.

Ce qui étonne, d’abord, et déconcerte certains visiteurs, pressés et superficiels, dans cette collection, c’est la diversité des motifs traités, et aussi la diversité de leur exécution. Il y a un peu de tout, de vastes toiles décoratives, d’un caractère poétique et dramatique, d’autres avec des vues panoramiques, les unes puissamment condensées, les autres sans composition apparente, avec quantité de tableaux, grands ou petits, études et préparations de détails multiples, arbres et fleurs, mers et ciels, animaux et natures mortes, figurines et portraits. Comment, suivant les idées actuelles, admettre qu’un artiste puisse avoir aimé et compris tant de choses ? Comment accepter surtout -que, pour les traiter, il ait, suivant la variété des pays, des climats, des saisons, des heures, cru devoir modifier ses façons de dessiner et de peindre ? Que n’a-t-il, en Normandie, en Provence, en Auvergne, en Italie, gardé une touche