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Nombre d’artistes d’outre-Manche voyageaient, étudiaient, travaillaient en France, dans la Normandie, notamment. A Paris, le charmant et délicat Bonington, camarade, chez Gros, de Delacroix et de Huet, plus âgé de trois ans que ce dernier, était, pour eux, un bon conseiller. Delacroix, dans son journal, lui rend un sincère hommage : « Il y a terriblement à gagner avec ce luron-là, et je sais que je m’en suis bien trouvé. » Le peintre du Massacre de Scio et du Sardanapale pouvait, en effet, s’avouer le débiteur de Bonington, dont l’exquise virtuosité se plaisait aux harmonies élégantes et claires, et aux vives caresses des colorations brillantes. Mais quels rapports, entre ses paysages tendrement aérés, aux ciels transparens et légers, aux plages finement nuancées, où passent, en des rêveries lumineuses, des souvenirs de Guardi, de Canaletto, de Turner, et les visions contemplatives et graves, d’une facture un peu lourde, terne et sombre, déjà particulière à Paul Huet, que hantent plutôt, à cette date, les conceptions épiques, dramatiques de Poussin, Rubens ou même de Salvator Rosa ? Il semble bien que, dès lors, le jeune paysagiste ait pris une direction trop personnelle pour subir, du dehors, des modifications capitales. Désormais, il donnera plus qu’il ne recevra. Si l’on consulte les dates, lorsqu’on saisit chez lui des ressemblances avec ses cadets et ses successeurs, on constatera presque toujours qu’il les précède plus qu’il ne les suit, les prépare plus qu’il ne les imite.

Le Cavalier n’avait encore paru que chez Gauguin. En 1827, pour la première fois, Huet, enfin, se montre au Salon avec la Vue des Environs de La Fère. Dans une grande toile, de 1826, la Maison de Garde à Compiègne, on voit bien avec quelle volonté réfléchie, quelle virtuosité déjà ferme et variée, il entendait, en s’inspirant encore de Poussin et de Carrache, pour la vigueur massive des frondaisons opulentes, et d’Hobberna, pour les frémissemens de lueurs sur les murailles grisâtres et les toitures rouges, exprimer la solitude silencieuse d’une habitation humaine, dans la profondeur des bois, à l’ombre des arbres géans, dont les cimes, dorées par l’automne, s’inclinent, au-dessus d’elle, pour la protéger des vents perfides et lui verser le murmure assoupissant de leurs feuillues frémissantes.

La curiosité de l’artiste, celle qui poussait tous ses camarades à la découverte du monde, Fiers en Amérique, Decamps