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chez Pierre Guérin, dont l’atelier était célèbre. « Il pénétra dans ce sanctuaire, rempli d’illusions, sage d’ignorance. » Mais, hélas ! il avait vu le Chasseur et la Méduse de Géricault, il en parlait avec enthousiasme ! Ses camarades, les sages, le traitèrent vite en renégat ; ils lui prédirent qu’il ne serait jamais « qu’un petit Van Loo. » C’était la plus terrible des injures. « Je n’y fus pas longtemps sans sentir un certain dégoût ; on me parlait antique et je voyais faire des morceaux de bois. Je me battais les flancs pour admirer ces productions annuelles coulées au même creuset… Je n’y comprenais rien. » Et il se souvenait des Prud’hon, des Charlet, des Géricault qui l’avaient ému, et surtout de Rembrandt ! « Et j’entendais proscrire. Rembrandt, et je me répétais cette phrase : Tu n’auras jamais le prix de Rome ! »

Gros était alors, aux yeux des jeunes, le propagateur le plus hardi des idées nouvelles. Ses magnifiques scènes militaires, où la vérité des types, la variété des mouvemens, la franchise des expressions, se présentaient, en reliefs vigoureux, dans une harmonie, éclatante et chaude, de couleurs grasses et franches, étaient, en effet, l’affirmation, par le meilleur des élèves de David, de principes absolument contraires à ceux de son maître. C’était bien lui, avant et avec Géricault, le prédicateur et l’apôtre de l’hérésie scandaleuse qu’on commençait d’appeler, avec mépris, le Romantisme. Quel beau peintre d’actualités vivantes ! Quel beau peintre aussi de paysages d’Orient et même de paysages du Nord sous le soleil ou dans la neige ! Le jeune Huet, lâchant Guérin, courut donc chez Gros.

On assistait alors à un spectacle déconcertant pour les fanatiques des deux partis, pour les réactionnaires classiques autant que pour les révolutionnaires romantiques. L’auteur des Pestiférés de Jaffa, de la Bataille d’Eylau, du François Ier à Saint-Denis, malgré son indépendance, était resté profondément estimé par David. Celui-ci, le régicide, exilé à Bruxelles, l’ayant chargé de diriger son atelier, Gros se faisait un devoir d’obéir aux ordres de son maître. Il instruisait donc ses élèves selon la formule froide et théâtrale de l’idéal absolu, il poussait même l’abnégation jusqu’à renoncer lui-même, dans ses œuvres nouvelles, aux exigences de son tempérament et aux qualités propres qui avaient fait sa gloire. Etrange et douloureux sacrifice, dont les conséquences furent une impopularité rapide, et, sous le coup de basses