Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/840

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’importation et à l’imitation des tableaux anglais, puisque, déjà, avant l’apparition victorieuse de Constable au Salon de 1824, dans quelques œuvres de Prud’hon, Gros, Géricault, on pouvait admirer des qualités similaires. C’est que des deux côtés, tous, Anglais et Français, s’étaient inspirés en même temps aux mêmes sources italiennes, flamandes, hollandaises, françaises, chez Titien, Rubens, Rembrandt, Poussin, Watteau.

Lorsque Paul Huet, à dix-neuf ans, attira les yeux d’Eugène Delacroix, par un petit paysage d’après nature fait à Saint-Cloud, il n’avait pas plus que le jeune auteur de la Barque de Dante la prétention d’être un révolutionnaire. L’un et l’autre pensaient simplement reprendre, avec plus de liberté et de sincérité, les traditions des vrais maîtres de la peinture, oblitérées et faussées par un pédantisme tyrannique et glacial. L’Exposition des œuvres de Paul Huet, à l’Ecole des Beaux-Arts et la publication de sa correspondance et de ses notes faite par son fils nous donnent aujourd’hui, l’occasion de rendre à ce noble artiste, trop oublié, l’hommage glorieux qu’il mérite. Ce doit être aussi celle de montrer, par son exemple, ce que furent la hauteur de l’intelligence, la solidité des convictions, la dignité du caractère, la santé de l’esprit et du cœur chez la plupart des artistes qui, alliés aux écrivains de leur temps, ont pris part à ce magnifique mouvement intellectuel et passionnel, d’imagination et d’études, littéraire et scientifique, philosophique et moral, qui a fait la force du XIXe siècle et restera son honneur.


II

Comme la plupart de nos paysagistes, à cette époque, Paul Muet est un Parisien. Il est né le 10 vendémiaire an XII (3 octobre 1803) dans une vieille maison de la rue des Vieilles-Boucheries (aujourd’hui détruite), près de Saint-Germain-des-Prés. Par tous ses ascendans, il était de race normande. Son père, négociant notable de Rouen, ruiné par la banqueroute des assignats, avait échoué dans la grande ville où il s’efforçait, mais en vain, de rétablir sa fortune par un commerce de draps et de toiles. L’enfant, un tard venu, se trouvait le dernier de quatre frères et sœurs dont le plus jeune avait vingt ans de plus que lui. Son arrivée, dans une famille en détresse, semble avoir été accueillie sans joie. Sa mère était toujours malade. Il la