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isolé, le paysage pour lui-même, la pièce de cabinet et de salon, d’amateurs et d’expositions, le paysage-étude, pris tout entier sur nature, naïvement français, fait son apparition définitive, à la fin du XVIIIe siècle. Timidement introduit, d’abord, par le pauvre Lantara, il s’enhardit par degrés chez Bruandet (1750-1803), Louis Moreau (1740-1806), puis chez Georges Michel (1765-1843). Celui-ci meurt, octogénaire, à Montmartre, sans avoir connu la gloire de précurseur qu’il méritait.

A ce moment, l’amour, le culte, l’imitation de la nature ont été mis à la mode par Jean-Jacques Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et, enfin, Chateaubriand. Le mouvement, il est vrai, semble arrêté par le jacobinisme autoritaire et l’esthétique pseudo-antique de David fondée sur la seule imitation de la statuaire gréco-romaine, à l’exclusion systématique de toute représentation réelle et contemporaine. Le paysage surtout est sévèrement proscrit comme un genre inférieur et bas, digne à peine d’être exercé à côté de la peinture d’histoire, la grande peinture, condamnée elle-même à son rigide et immuable idéal. Heureusement, pour de vrais artistes, fatalement épris des formes et des couleurs, les plus solennelles théories, même formulées par eux, sont oubliées dans la pratique. David lui-même en donna l’exemple. Ce contempteur fanatique de la réalité sera l’un des portraitistes et peintres de figures contemporaines les plus exacts, les plus sincères que compte l’art moderne. Et chez ses élèves, même les plus soumis, voici que ce paysage maudit, le paysage arborescent, verdoyant, animé de douces lumières, sous la sérénité ou la mélancolie de ciels changeans, a bien vite l’audace de reparaître. Prud’hon en fait le fond de ses portraits ou de ses rêveries, et, dans ses épopées militaires, Gros s’y exerce, avec une ampleur et une justesse d’effet supérieures à tout ce qu’on connaissait.

Il n’est donc point vrai de dire qu’avant Paul Huet, qui, débuta, le premier, vers 1822, dans la peinture du paysage spécial et portatif, avant Flers, Cabat, Corot, Decamps, Isabey, Diaz qui le suivirent de près, l’art du paysage était perdu chez nous. La vérité est que, comme en Italie et dans les Pays-Bas, il avait d’abord été l’appoint naturel des scènes légendaires ou historiques exécutées par les peintres de figures. Il n’est point exact non plus de penser que l’évolution commencée par tous ces nouveaux paysagistes, dits romantiques, soit due à