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méridionale ; et c’est grâce, sans doute, à cette association, spontanée et constante chez eux, des deux génies, qu’ils nous apparaissent, au-dessus de tous les paysagistes, comme leurs maîtres les plus complets, les plus internationaux, les plus humains, et qu’ils sont restés, jusqu’à nos jours, des inspirateurs et des conseillers écoutés et respectés dans toutes les écoles.

Tandis que Poussin et le Lorrain travaillaient à Rome, chez nous, à Paris, sous l’influence des controverses théologiques et philosophiques, des discussions grammaticales et théoriques, les lettres et les arts presque uniquement encouragés et cultivés en des milieux aristocratiques et mondains, se détachaient de la nature extérieure, pour se consacrer à l’analyse psychologique et la représentation expressive de l’homme, mais de l’homme seul, suivant des règles conventionnelles, dites classiques, parce qu’on croyait les trouver dans les chefs-d’œuvre grecs et romains. Ceux qui regardent les arbres et le ciel, comme La Fontaine, Racine, Fénelon sont des exceptions. Non moins rares sont les peintres qui se hasardent, même de loin, à suivre Claude et Poussin ; s’ils le font, comme les Patel, c’est avec une extrême timidité, en abritant leurs verdures légères sous la protection des colonnades académiques ou de fausses ruines antiques.

Les yeux fermés n’osent se rouvrir aux enchantemens du paysage que par la grâce inattendue et l’émotion délicate de Watteau. Ce doux rêveur mélancolique, disciple fidèle des bons Flamands, ses compatriotes, ayant pris, par Rubens et chez Crozat, la nostalgie des Venises lointaines, donne hardiment pour fonds à ses petits acteurs, même ceux de la Comédie Italienne, non plus un décor de théâtre, mais les taillis et les futaies des vieux parcs nobiliaires où il a surpris leurs tendres entretiens et leurs gestes aimables. Presque tous les autres brosseurs de fêtes galantes ou de scènes familières, sans retrouver sa franchise, ne laissent point de s’en souvenir. Les motifs rustiques qu’Oudry et, après lui, Boucher, introduisent dans leurs cartons de tapisseries, ne sont pas sans intérêt, ceux d’Oudry surtout qui, dans ses dessins et quelques études d’après nature, est déjà un vrai paysagiste. Bientôt ce goût pour la vérité s’accentue et s’affirme, plus nettement, avec Joseph Vernet, dont certains morceaux pressentent et préparent Corot, puis, avec plus de fantaisie, mais une véritable poésie, bien souvent, chez Fragonard et Hubert Robert. Enfin, le paysage