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involontaire hommage au christianisme ? Il est donc lui-même la preuve vivante que l’inspiration chrétienne, bien loin de lui nuire, favorise au contraire l’éclosion du génie littéraire. Et sans doute les deux élémens ne sont point nécessairement solidaires ; mais ils peuvent se prêter l’un à l’autre un mutuel appui ou se faire l’un à l’autre une guerre mutuelle. Voltaire et Rousseau, par exemple, auraient-ils fait tant de mal à la religion, s’ils n’avaient pas été des écrivains de génie ? Précisément, il y a à refaire leur œuvre contre eux-mêmes. Pascal est mort sans avoir pu achever le grand ouvrage qu’il méditait. Ecrivons à notre tour le livre rêvé par Pascal, mais adaptons-le aux besoins des temps nouveaux. Il se proposait, entre autres choses, — ce sont ses propres expressions, — de « rendre la religion aimable : » faisons de ce dessein notre objet essentiel. Toute la philosophie du siècle qui s’achève a vécu sur cette idée que le christianisme était un retour à la barbarie primitive, qu’il était la plus immorale des « superstitions. » Montrons que c’est là le contraire même de la vérité historique ; et faisons en un mot l’apologie de la Religion chrétienne par rapport à la Morale et aux Beaux-Arts[1].


IX

L’idée était de celles qui ne pouvaient manquer d’agir puissamment sur une âme d’artiste disposée, comme celle de Chateaubriand, à concevoir toutes choses sub specie pulchritudinis. Elle était si heureuse et si féconde, elle ramassait en les précisant tant de pressentimens obscurs, tant d’aperçus lointains ou récens, tant de velléités intimes, elle répondait si bien aux mille suggestions concordantes de la pensée contemporaine, bref, en lui et en dehors de lui, elle faisait si directement écho

  1. Titre tout primitif du Génie (Lettre à Fontanes du 19 août 1799). — L’idée religieuse est si naturellement associée chez Chateaubriand à l’idée esthétique que, dans une prière composée par lui, probablement à Rome après la mort de Mme de Beaumont, on lit ceci : « Etre éternel, objet qui ne finit point et devant qui tout s’écroule, seule réalité permanente et stable, vous seule méritez qu’on s’attache à vous… En vous contemplant, ô beauté divine, on sent avec transport que la mort n’étendra jamais ses horribles ombres sur vos traits divins. » — Ailleurs, dans le Voyage en Italie (éd. Ladvocat, t. VII, p. 191), il écrit : « Jésus-Christ était-il le plus beau des hommes, ou était-il laid ? Les Pères grecs et les Pères latins se sont partagés d’opinion : je tiens pour la beauté. » Chateaubriand a toujours tenu pour la beauté.