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la preuve. La Révolution lui inspira une profonde horreur pour l’anarchie sociale. En 1790, il écrivait à Joubert : « Ce n’est qu’avec Dieu qu’on se console de tout. J’éprouve de jour en jour combien cette idée est nécessaire pour marcher dans la vie. J’aimerais mieux me refaire chrétien comme Pascal… que de vivre à la merci de mes opinions ou sans principes, comme l’Assemblée nationale ; il faut de la religion aux hommes, ou tout est perdu. » Un peu plus tard, dans le Mémorial et dans son enseignement à l’Ecole centrale, il prêchait le retour aux idées conservatrices en politique, en religion, en littérature : il démontrait que les grands écrivains du siècle de Louis XIV méritaient mieux le titre de « penseurs » que les « rhéteurs » et les « sophistes » de l’âge qui a suivi ; bref, il préludait déjà à ce rôle d’apologiste discret, et d’inspirateur ou de conseiller qu’il devait jouer bientôt auprès de Chateaubriand. Nul doute que les entretiens de Fontanes à Londres n’aient été singulièrement utiles au futur auteur du Génie du Christianisme.


Le « génie du christianisme : » la formule était si heureuse, elle répondait si bien à un état et à un désir de l’opinion publique, qu’un autre que Chateaubriand allait la découvrir de son côté, et à l’insu même de celui qui devait en faire la fortune. Cet autre écrivain, c’est Ballanche[1]. Dans un livre dont la première ébauche date de 1797, et qu’il a intitulé Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, il disait, à propos du Télémaque : « Ce beau livre est fondé tout entier sur une base mythologique : mais combien de choses, et ce sont les plus belles, qui n’ont pu être inspirées que par le génie du christianisme ! » La voilà, la forte et magique parole qui bientôt sera lancée comme un défi ou comme une

  1. Sur Ballanche, voyez les études de Sainte-Beuve (Portraits contemporains, t. II), de J.-J. Ampère (Ballanche. Paris, René, 1848, in-8), de M. Faguet (Politiques et Moralistes, t. III, et les ouvrages de M. Ch. Huit, la Vie et les Œuvres de Ballanche. Paris, Vitte, 1904, in-8, et de M. Gaston Frainnet, Essai sur la philosophie de P. -S. Ballanche. Paris, Picard, 1903, in-8. — Cf. dans notre Chateaubriand, études littéraires, notre étude intitulée : Simple recherche de paternité littéraire.