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égards, est comme l’esquisse d’un Génie du Christianisme écrit par un incrédule impartial et respectueux : « Il me faut, écrivait-il, comme à l’univers, un Dieu qui me sauve du chaos et de l’anarchie de mes idées… Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pas pouvoir parler au cœur. Or l’esprit est le côté partiel de l’homme ; le cœur est tout… Tout État, si j’ose le dire, est un vaisseau mystérieux qui a ses ancres dans le ciel[1]… » Joseph de Maistre lui-même n’aurait pas mieux dit.


« Si nous ne devons mourir que quand La Harpe sera chrétien, aurait dit un jour Chamfort, nous sommes immortels. » Ce jour devait arriver pourtant. Ce disciple chéri de Voltaire[2] qui avait applaudi comme tant d’autres aux débuts de la Révolution, devenu suspect de modérantisme à son tour et l’une des victimes de la Terreur, jeté en prison[3], menacé de mort, se mit à lire les Psaumes, où, jusqu’alors, il n’avait cherché que des « beautés poétiques, » à les traduire et à les commenter au point de vue littéraire[4], puis, bientôt frappé des « beautés d’un ordre supérieur[5] » que cette lecture lui révélait, il y

  1. Voyez sur Rivarol le livre si savant, si spirituel et si vivant que M. André Le Breton lui a consacré (Paris, Hachette, 1895, in-8). M. Le Breton a trouvé dans les Pensées inédites de Rivarol une bien curieuse note concernant Chateaubriand. La voici : « On me fit lire à Hambourg une esquisse sur le Génie du Christianisme, imprimée à Londres, qui annonce un ouvrage plus complet et plus étendu. Il y a du Fénelon et du Bossuet dans cette esquisse, et l’auteur, qui est jeune encore, nous promet un homme religieux et un grand écrivain. » (p. 162).
  2. Voyez sur La Harpe les deux articles de Sainte-Beuve (Lundis, t. V), celui de Paul Albert dans son Dix-huitième siècle, et surtout le Mémoire placé en tête des Œuvres choisies et posthumes de M. de La Harpe, Paris, Migneret, 1806, 1 vol. in-8. Nous n’avons pas encore sur cet écrivain le livre que réclamait déjà Sainte-Beuve, et qu’il mériterait autant que bien d’autres.
  3. Les ennemis de La Harpe, — il en avait beaucoup, comme on le sait, — ont essayé de faire entendre que « le mandat d’arrêt » avait été la cause unique de son brusque revirement ; il ressort d’une note de La Harpe (Du Fanatisme, etc., 1re éd., 1797, p. 77-78) qu’il n’avait pas attendu le « mandat d’arrêt » pour condamner les excès révolutionnaires.
  4. Ce travail a été l’origine du livre que La Harpe a publié en 1798, chez Migneret, le Pseautier, en français, traduction nouvelle… précédée d’un Discours sur l’esprit des Livres saints et le style des Prophètes, ouvrage qui serait à rapprocher, d’une part, du livre de Sylvain M[aréchal], Pour et contre la Bible (à Jérusalem, l’an de l’ère chrétienne, 1801, in-8), et, d’autre part, de certaines pages du Génie du Christianisme (II, VI).
  5. Ce sont les expressions mêmes de l’auteur anonyme du Mémoire. Je note dans ce Mémoire un mot de Saint-Lambert, rapporté par La Harpe, et fort curieux à cette date : « Le seul de ces athées avec qui j’aie été lié, écrivait La Harpe, c’est M. de Saint-Lambert qui me pardonnait ma croyance en Dieu comme un système plus poétique qu’un autre. (p. LI).