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ajoute-t-il, de cet état du clergé en France, que le christianisme y subsistera encore longtemps… Le protestantisme serait mal calculé pour mes compatriotes. » A propos de l’Angleterre, il déplore que « la religion n’y ait pas assez d’extérieur, » et, chose bien curieuse, il prête aux « philosophes modernes » ses propres préférences à l’égard de la « secte romaine. » Nous sommes, décidément, fort loin ici des rêves d’ « instauration » protestante auxquels, à la même époque, se livrait Mme de Staël pour le compte de la République française[1]. Enfin, dans une remarquable page, il s’avise des « beautés poétiques de la religion chrétienne : »


Une religion a bien des charmes, écrit-il, lorsque, prosterné au pied des autels, dans le silence redoutable des catacombes, on dérobe aux regards des humains un Dieu persécuté ; tandis qu’un prêtre saint, échappé à mille dangers, et nourri dans quelque souterrain par des mains pieuses, célèbre peut-être à la lueur des flambeaux, devant un petit nombre de fidèles, des mystères que le péril et la mort environnent.


Ailleurs encore :


Si le christianisme avait trouvé dans les malheurs des hommes une cause de ses premiers succès, cette cause agit dans sa plus grande force au moment de l’invasion des Barbares… Les prêtres seuls pouvaient protéger les peuples. Ce qui restait encore d’habitans attachés à l’ancien culte, se rangea sous la bannière du christianisme. Si jamais la religion a paru grande, c’est lorsque, sans autre force que la vertu, elle opposa son front auguste à la fureur des barbares, et, les subjuguant d’un regard, les contraignit de dépouiller à ses pieds leur férocité native[2].


En vérité, ne croirait-on pas lire une page du Génie du Christianisme ? De fait, le livre presque tout entier, idée générale, thèmes essentiels, tendances caractéristiques, est enveloppé et comme perdu dans l’Essai sur les Révolutions sous l’amas des

  1. Essai, p. 602, 693. Voici ce dernier passage : « Nous sentons fort bien, fait dire Chateaubriand à ces philosophes argumentant contre les chrétiens, que vous n’auriez jamais converti les peuples au christianisme sans la solennité du culte. C’est en quoi nous préférons la secte romaine. Il est ridicule d’être luthérien, calviniste, quaker, etc., de recevoir à quelques différences près l’absurdité du dogme et de rejeter la religion des sens, la seule qui convienne au peuple. » — Voyez dans la Revue du 1er novembre 1899 l’article de M. Paul Gautier sur Mme de Staël et la République.
  2. Essai, p. 571, 574.