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et aristocratique parole de Voltaire : Il faut une religion pour le peuple. Nous voilà bien loin maintenant de la simple doctrine encyclopédique.

Et déjà cette pensée se précise dans son esprit et sous sa plume ; déjà, pour animer cette formule abstraite, des souvenirs, des regrets, de vagues aspirations vers une réalité vivante et prochaine naissent ou renaissent dans son âme. Il se demande quelque part d’où vient « cette vague inquiétude particulière à notre cœur. » « Je n’en sais rien, répond-il ; peut-être d’une aspiration secrète vers la Divinité. » Il compose un hymne d’une admirable beauté de forme, — et qu’il reprendra dans le Génie, — à ce Dieu inconnu dont « il adore les décrets en silence. » Il fait plus.


Si la morale la plus pure, — écrit-il, — et le cœur le plus tendre, si une vie passée à combattre l’erreur et à soulager les maux des hommes sont les attributs de la Divinité, qui pourra nier celle de Jésus Christ ?


C’est le mot fameux de Jean-Jacques, sans doute, mais plus affirmatif, ce semble, sous cette forme interrogative, que dans le texte de l’Émile. Et toute la page qui suit (« Le Christ, dans sa glorieuse ascension, ayant disparu aux yeux des hommes… ») implique une adhésion, momentanée peut-être, mais plus complète cependant, que les déclarations les plus religieuses du Vicaire savoyard[1]. Et l’on conçoit sans peine que, relisant trente ans plus tard de tels passages, — dont il serait facile de multiplier le nombre[2], — Chateaubriand ait pu écrire : « Ces cris religieux, échappés tout à coup et comme involontairement du fond de l’âme, prouvent mieux mes sentimens intérieurs que tous les raisonnemens de la terre. »

Ce n’est pas tout encore. Le même homme qui vient de dire que « l’esprit dominant du sacerdoce est l’égoïsme, le fanatisme, la haine, » insère, à la page suivante, un éloge des curés français si vibrant et si ému qu’il pourra le transporter tout entier dans le Génie du Christianisme[3]. « On peut conjecturer,

  1. Essai, p. 462, 564-365, 510-571.
  2. « Homme, s’écrie-t-il quelque part, serais-tu assez misérable pour ne point espérer dans ce Père des affligés qui console ceux qui pleurent ? » (p. 466) : voyez toute la page qui est très éloquente et fort curieuse ; voyez aussi, p. 506, ce qu’il dit des Évangiles et de « leur divin auteur. » — « O mes compagnons d’infortune, écrit-il encore, je voudrais pouvoir sécher vos larmes. Mais il vous faut implorer le secours d’une main plus puissante que celle des hommes. » (p. 507).
  3. Essai, p. 599-600 ; cf. p. 596. — Il y a bien d’autres passages de l’Essai rapportés dans le Génie ; on trouvera les principaux aux pages 395, 402, 508, 510, 520, 551, 565, 066, 572, 600, 610, 625, 627.