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à peu près ce langage : « Nous désirons être vos amis ; nous verrons toujours avec plaisir vos progrès économiques et sociaux, l’accroissement de votre richesse, de vos chemins de fer, de vos échanges, mais si vous vouliez faire la guerre aux Turcs pour porter vos frontières jusqu’à la mer Egée, réaliser la Grande Bulgarie de vos rêves ou créer une Macédoine indépendante qui serait nécessairement une Macédoine bulgare prenez garde : nous mobiliserions nos troupes et pendant que vous descendriez sur Andrinople, nous marcherions sur Sofia, nous menacerions les derrières de votre armée, nous arrêterions ses progrès, ou, tout au moins, nous saisirions un gage qui nous assurât le droit d’être partie intervenante au traité de paix et de ne pas rester nos mains vides tandis que vous garniriez les vôtres. » Ainsi menacée à revers pendant qu’elle combattrait de front contre les Turcs, la Bulgarie serait paralysée, d’autant mieux que sa forme, allongée d’Est en Ouest et étroite du Sud au Nord, mettrait la base d’opérations de l’armée qui attaquerait Andrinople à quelques jours de marche des corps roumains. A plusieurs reprises, en ces dernières années, le gouvernement du roi Carol a nettement fait connaître ses intentions au Cabinet de Pétersbourg avec lequel il entretient des relations très confiantes ; les conseils pacifiques que le gouvernement du Tsar a fait, en diverses circonstances, entendre à Sofia s’appuyaient ainsi sur un argument singulièrement fort. On s’est étonné en Europe, on s’est indigné dans les milieux nationalistes bulgares ou macédoniens, de ce que le roi Ferdinand n’ait pas profité du désarroi où était l’armée turque après la révolution de juillet 1908, ou après le coup d’Etat d’Abd-ul-Hamid en avril 1909, pour marcher sur Constantinople et signer à son profit un nouveau traité de San-Stefano. La véritable raison de cette abstention, c’est en Roumanie qu’il faut aller la chercher. Les Bulgares le savent bien ; mais il en est parmi eux qui pensent que l’obstacle est plus formidable en apparence qu’en réalité. « Si, disent-ils, les Roumains envahissaient notre territoire pendant que nous serions engagés avec les Turcs, nous ne devrions pas leur opposer un seul soldat, mais ouvrir toutes les portes devant eux ; ni l’opinion européenne, ni même l’opinion roumaine n’admettraient que, dans ces conditions, l’armée roumaine vînt frapper par derrière et écraser ces mêmes Bulgares affranchis par sa bravoure aux jours de Plevna. » Même dans l’hypothèse