Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/771

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

turco-roumaine, une preuve de l’inféodation de la Roumanie à la politique triplicienne : de là, dans notre pays, où la sympathie pour les Roumains est générale, une impression d’étonnement pénible. On se prit à réfléchir au rôle politique que la Roumanie est appelée à jouer dans la politique danubienne et balkanique. On eût dit que l’annonce de son entente avec la Turquie révélait en même temps les progrès accomplis par la Roumanie et la force qu’elle représente. Les Bulgares, les Serbes, mêlés aux agitations de la Macédoine, aux affaires de Bosnie et d’Albanie, remplissent les colonnes des journaux ; chaque fois que la Grèce change de ministère, les commentaires de la presse sont copieux, mais on parle rarement de la Roumanie qui travaille dans le silence et se développe dans la paix. Deux cent cinquante mille Monténégrins, qui meurent de faim dans leurs rochers, font plus de bruit et paraissent tenir plus de place que sept millions de Roumains dont le labeur fait fleurir et fructifier une des plus riches contrées de l’Europe.

Après avoir été amplement commentée et discutée, la nouvelle lancée par la presse fut finalement démentie par les gouvernemens intéressés. Affirmée d’un côté, niée de l’autre, l’existence d’une convention écrite reste douteuse. Mais, vraie ou fausse, cette révélation aura eu l’avantage de provoquer des débats intéressans ; elle a éclairé l’opinion sur la situation véritable des Roumains en face des problèmes de l’Orient européen. En l’état actuel des relations politiques dans les pays balkaniques, une entente turco-roumaine, et, au besoin, une coopération militaire, est dans la logique des intérêts : c’est ce que nous voudrions démontrer. Cette démonstration faite, la question de savoir si deux signatures ont été échangées devient secondaire. Disons tout de suite que, pour notre part, nous inclinons à croire qu’aucune convention n’a été écrite : quand les intérêts sont manifestement d’accord, on se passe du notaire.


I

A partir de Vienne, jusqu’à la Mer-Noire et à la mer Egée, l’Europe s’émiette, tout le long du Danube, en petits groupes ethniques enchevêtrés les uns dans les autres, en petits États