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fanfares du Culturkampf, publiait, il y a quelque temps, les Mémoires d’un ancien ministre prussien de l’Instruction publique, Bosse. Il parlait du chancelier : « Bismarck et Falk, expliquait-il, avaient tenu trop peu de compte de l’immense puissance que possède l’église catholique sur les cœurs des hommes ; et vis-à-vis de ces impondérables, ils avaient attribué à l’omnipotence brutale de l’État une supériorité victorieuse, qu’elle n’avait pas et ne pouvait pas avoir. Les forces profondes, réelles, religieuses, qui agissent dans le cœur humain, furent mésestimées et mises de côté avec un aveuglement qui aujourd’hui même, pour un politicien libéral, paraît à peine compréhensible. »

On ne saurait mieux dire. Il était réservé au Pape, ce roi déchu, de décontenancer Bismarck, Moltke et Roon, ces trois familiers de la victoire. Bismarck apprit, au jour le jour du Culturkampf, que sa propre puissance, quelque tremblement qu’elle imprimât à l’Europe, s’émoussait contre certaines bornes ; qu’elle n’avait pas de prise sur les mystérieuses décisions des consciences, non moins importantes dans la destinée des peuples que la décision des armes ; et que Pie IX, qui les dictait, était en quelque façon plus fort que lui.

C’est dans son contact hostile avec l’Eglise de l’Infaillibilisme, avec l’Eglise qu’il disait serve, que s’étaient révélées à ce fils de la Réforme, à ce confesseur de l’ « évangélisme » prussien, deux forces mystérieusement vivaces et qu’il ignorait jusque-là : la souveraineté spirituelle, toute-puissante sous les dehors de la faiblesse, et la liberté de l’homme intérieur, s’affirmant avec éclat par l’obéissance volontaire à cette débile souveraineté.


GEORGES GOYAU.