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ordonnait des récidives qui déroutaient les illusions bismarckiennes sur la vertu de la force.

Voyageant à Rome en 1876, le vieux maréchal de Moltke écrivait avec quelque tristesse : « La Papauté a pour elle les femmes de tous les pays catholiques et quelquefois même celles des pays protestans. Le sentiment, l’imagination, la faiblesse d’esprit, ce sont là de bien puissans auxiliaires ; nulle force extérieure n’est capable de détruire la Papauté ; elle a déjà surmonté des crises plus terribles que celle-ci. » Moltke, pour la première fois dans sa vie, désespérait que l’Allemagne fût victorieuse ; mais pourquoi la victoire se refusait-elle ainsi à l’Allemagne ? C’est ce qu’il ne comprenait pas encore. Dédaigneux non moins qu’amer, on eût dit, à l’entendre, que l’Allemagne de Bismarck et de Moltke était battue par les femmes. Ce croyant de la force cherchait pour les déconvenues de la force une explication, et l’explication se dérobait. Il fallait que le fier « germanisme » reconnût et acceptât comme un fait l’existence d’un pouvoir spirituel susceptible d’édifier, dans la conscience de chaque citoyen catholique, des retranchemens imprévus, derrière lesquels elle déjouait Bismarck.

Pie IX, naguère souverain d’un Etat, n’était plus que le propriétaire d’une enclave ; mais par le fait même de ses malheurs politiques, il était devenu absolument intangible pour les vengeances terrestres ; et cette inaccessibilité même du Pontife, bravant en Bismarck l’homme fort et le héraut des droits de la force, devenait comme le symbole d’une autre inaccessibilité, celle du monde des âmes ; elle parachevait encore, dans ce personnage historique qu’est le Pape, ces traits singuliers et grandioses qui font de lui, si l’on ose ainsi dire, un homme représentatif par excellence, l’homme représentatif d’un certain monde moral existant hors de portée de l’État, au-delà et au-dessus de l’État, monde moral où s’évade et s’épanouit l’autonomie des consciences fières et où les pénalités frappant les corps n’ont aucune répercussion consentie ni durable. La force matérielle, triomphante et grisée, oublie volontiers l’existence de cet autre univers, dans lequel voisinent, jusqu’à s’y confondre, le for intime de l’homme et la volonté de Dieu : volontiers ne reconnaîtrait-elle comme réel que ce qu’elle peut toucher, culbuter et broyer.

Cette même revue : les Grenzboten, qui sonnait autrefois les