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les autres. Avec de l’argent et quelques instructeurs français, le Sultan pourra lever et entretenir la petite armée dont il a besoin pour ne pas être exposé une fois de plus aux cruelles péripéties dont il vient de sortir. Avec de l’argent aussi, il pourra ravitailler Fez en vivres et en munitions, de manière à soutenir un long siège et à donner aux assiégeans le temps de se quereller entre eux et de se débander. Enfin il nous importe grandement de prendre des mesures pour que, dès qu’un danger sérieux se manifestera, les colonies européennes soient conduites, dans un port où elles seront en sécurité. Leur présence à Fez, au cours des derniers événemens, a singulièrement contribué à émouvoir la sensibilité générale. C’étaient comme des otages que nous avions en pays ennemi et qu’il fallait dégager et sauver à tout prix. Quant aux instructeurs européens, sans doute il convient d’en mettre à la disposition du Sultan, mais à la condition que, préparant et faisant la guerre, ils soient considérés comme des belligérans au service du Maghzen, et que nous ne nous considérions pas comme contraints nous-mêmes d’engager à leur service toute la politique de notre pays. La situation étant détendue aujourd’hui, on peut parler avec plus de sang-froid. De deux choses l’une : ou il faut renoncer à avoir à l’étranger des instructeurs militaires et les rappeler, ou il faut admettre qu’ils suivent le sort de la guerre cl, tout en admirant leur héroïsme, ne pas leur subordonner les intérêts de la France elle-même. Ce qui vient de se passer montre combien il est facile chez nous, en faisant appel au sentiment, d’égarer la raison : c’est un inconvénient auquel nous ne devons pas nous exposer à nouveau.

Quand nous aurons pris toutes ces mesures, nous aurons fait pour le Sultan tout ce que nous pouvons faire : nos devoirs envers lui, à supposer que nous en ayons, ne vont pas plus loin et ce n’est pas parce que nous venons de le tirer d’affaire que nous sommes liés avec lui, quoi qu’il fasse, indéfiniment. Que nous importe sa personne ? Notre intérêt est sans doute que l’ordre se rétablisse au Maroc, mais cet intérêt n’est pas assez grand pour que nous rétablissions l’ordre nous-mêmes et partout. On nous dit que l’Acte d’Algésiras pose en principe la souveraineté du Sultan et que cette souveraineté ne sera réelle que lorsque nous aurons pacifié le Maroc au profit de Moulai Hafid. Une telle conception nous conduirait loin dans un pays où l’anarchie a toujours existé et où elle existera encore longtemps. Nous y serons cependant amenés peu à peu, par la force même des choses, si nous restons à Fez plus longtemps qu’il