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toujours signe de faiblesse, encore moins de misère, et que, même en musique, il y a de beaux raccourcis.

Le premier acte de l’œuvre nouvelle n’est guère autre chose. Et sa valeur musicale, il faut insister là-dessus, n’en est pas amoindrie. Encore une fois, la force, chez M. Laparra, se concentre plus volontiers qu’elle ne se déploie. Elle s’enferme en des formules brèves qu’elle remplit, qu’elle anime et fait vivantes, frémissantes comme la chair et chaudes comme le sang. Dès le commencement, sous les plaintes et les sanglots du prêtre, l’orchestre, — le quatuor surtout, — se débat, se déchire et se tord. Harmoniquement, cette page est belle : elle l’est par la contrainte et comme par la constriction des accords qui s’enlacent et s’étreignent avec une sorte de frénésie. Que Soledad seulement paraisse, trois ou quatre notes suffisent, comme disent les peintres, à « camper » la figure. Et puis, tout de même çà et là, parmi les taches et les accens, des traits, des lignes se dessinent et se développent. C’est presque un hymne que chante Juan à son pays, au pays basque, et qu’un trille incessant, aigu, brûle et perce d’un rayon de soleil. Irrités, enragés l’un contre l’autre, comme vont l’être leurs deux pays, voici que brusquement, dans le cœur, dans les yeux, sur les lèvres rapprochées et frémissantes du Navarrais et de l’Aragonaise, la haine se fond en amour. Et cette fusion, d’ailleurs assez « tristanesque, » est encore en musique, par les élémens de la musique pure, quelque chose d’émouvant, quelque chose de beau. Musicale également, non moins que dramatique, est la scène où Soledad alarmée lit des présages funestes au front des montagnes que rougit le couchant. Il y a là, sui une note d’orchestre, haute et longuement tenue, un passage, un enchaînement tonal et vocal tout à fait délicieux. Tendre et charmé tristement est le ton de la devineresse ; mais lui, l’incrédule et hardi garçon, il ne répond que par d’allègres défis à la menace du soir. Ainsi pendant quelques instans, en présence et dans le mystère des choses, dans leur concert aussi, car elles chantent elles-mêmes, tout bas, les voix de la vie alternent avec celles de la mort. En de pareils momens, on a beau voir, sentir les défauts, ou plutôt les excès qui gâtent la nouvelle œuvre de M. Laparra, quand on y trouve un de ces éclats, de ces éclairs, on reprend confiance et l’on ne saurait convenir que le musicien de la Habanera ait trahi toutes ses promesses. Encore et toujours il y a quelque chose là, quelque chose de simple et de vrai, de fort et de vivant. La jota chantée et dansée est menée avec une verve toute populaire. La vigueur n’y exclut pas la finesse et la légèreté. L’air y circule à travers les groupes