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rôle de l’aveugle, et du voyant, fait œuvre, chef-d’œuvre même, de comédien et de chanteur. Décidément, pour un artiste lyrique, le grand malheur, c’est une grande voix. Heureux M. Périer ! Je me souviens que Mme Viardot me disait un jour : « Ce qui m’a sauvée, c’est que j’ai toujours eu une voix affreuse. » Elle exagérait peut-être, mais il y a du vrai tout de même.


Entre les jeunes musiciens, pas un ne paraît doué plus que M. Raoul Laparra, de ce qu’on appelle le « tempérament, » lorsque d’ailleurs on veut dire exactement le contraire : la fougue et la violence, au lieu de la modération et de la retenue ; le goût, ou l’instinct, non pas du tout de la moyenne et du juste milieu, mais de l’extrême et, au besoin, de l’excès. Musicien dramatique peut être encore plus que musicien tout court, l’auteur de la Habanera a commis dans la Jota, sa nouvelle œuvre, cette faute grave de laisser le drame prendre le pas sur la musique. Et quel drame ! Et quel pas ! C’est plutôt le trot, ou le galop, qu’il faudrait dire.

La Habanera était un abîme de tristesse, d’une tristesse noble, puissante et mystérieuse. La Jota serait plutôt, au second acte, le comble de l’horreur. Le premier acte déjà n’est pas extrêmement agréable. Dans un village perdu de l’Aragon, au pied des Pyrénées espagnoles, Juan, un jeune gars venu de Navarre, aime ardemment Soledad. Mais, plus follement encore, le vicaire de la paroisse est épris de la belle fille. Et comme idée, comme spectacle, comme expression par la parole et parle geste, rien d’aussi déplaisant, quelquefois même d’aussi répugnant que ce second amour. Je me trompe : il est le premier, car le personnage principal, le triste héros de l’histoire, constamment en scène, est ce mauvais prêtre, « odieux moine infect, » ainsi que la Esmeralda naguère, en se défendant, appelait un autre et semblable ecclésiastique. A Mosen Iago (tel est le nom du Frollo d’Espagne) Soledad n’oppose pas moins de mépris et de dégoût. Avec Juan, sur la place de l’église, elle danse une dernière jota. Oui, la dernière, car les carlistes, là-bas, se sont soulevés (nous sommes au temps des grandes guerres) et Juan, enfant des « provinces, » Basque avant d’être Espagnol, va les rejoindre. Il combattra, s’il le faut, avec le pays de sa naissance contre la patrie de son amour.

Il le faut en effet. Ceux de l’Aragon, à leur tour, ont pris les armes contre ceux de la Navarre. Le second acte nous montre leur défense terrible, dans l’église du village. Soledad, héroïque, est à leur tête, brandissant la rouge bannière où se détache, en or, l’image de la Vierge