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doute très relevé, mais facile, comme la romance elle-même. Que voulez-vous 1 Les temps sont durs, en musique. Alors il est bien permis de se laisser aller, quelquefois, à d’inférieures, mais après tout innocentes voluptés. Tel est le charme de la chanson de Tchang-I. Romance, oh ! oui, romance, et sentimentale à souhait, d’un lyrisme à demi bourgeois et populaire à demi. Sur un rythme qui se balance, un cantabile tout près d’être banal se déploie et même, un peu, très peu, se déhanche. Mais tout cela n’y fait rien. Tchang-I la chante deux fois, sa chanson : à la fin du premier acte, et, pour conclure, à la fin du second et dernier ; la première fois, heureux et confiant ; la seconde, après la fâcheuse expérience, ému, tremblant encore de l’avoir faite, mais déjà, s’étant replongé dans l’ombre, tout près d’en perdre le souvenir. Alors, autour de l’aveugle mélodieux, et s’unissant à sa mélodie, s’élèvent, oh ! pas bien haut et timides, comme un murmure à peine, les autres voix, les voix qui le trompèrent si longtemps et vont le tromper encore. C’est peu de chose, cette reprise, et pourtant, c’est un concert charmant, et touchant, plein de mystère, de mensonge et de mélancolie.

Rien, disions-nous, rien de chinois en cette musique. Est-ce bien sûr ? Nous venons de relire, à l’occasion de cet opuscule, un très savant, très aimable et très ingénieux traité de la musique chinoise[1]. Entre tous les caractères qu’elle possède, l’auteur insiste constamment sur la modération, la sagesse, l’horreur de l’abus et de l’excès. Le Li-Ki ou Mémorial des Rites, qui expose la doctrine officielle de la Chine sur la musique, abonde en préceptes de tempérance ou de discrétion. « Les anciens rois ont disposé les sons par principe. Ils ont fait en sorte qu’ils fussent suffisans pour donner la joie, mais sans licence ; que les paroles fussent suffisantes pour exprimer le sens, mais sans prolixité… » Et ceci encore : « La plus grande musique est toujours simple ; les plus grands rites sont toujours modérés. » C’est pourquoi « la perfection de la musique n’est pas de pousser les notes à bout. » Le musicien du Voile du bonheur a gardé cette réserve et cette retenue. Par là, sa musique, étrangère d’ailleurs à la pratique, à la lettre de la musique chinoise, en a du moins, peut-être sans le savoir, observé l’esprit. Et c’est la principale raison pour laquelle, sans nous « donner la joie, » elle ne nous causa nul déplaisir.

La joie, M. Jean Périer nous l’a donnée, et parfaite. Il a, dans le

  1. La musique chinoise. par M. Louis Laloy. Collection des Musiciens célèbres. Henri Laurens, éditeur.