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œuvres, Tchang-I trouve, à côté de son nom, celui du secrétaire infidèle. Averti par cette première découverte, il s’avise de feindre et de contrefaire l’aveugle qu’il n’est plus. Que voit-il alors, ou plutôt que ne voit-il pas ! Le malandrin qu’il a délivré se glisse la nuit en sa demeure et vide ses coffres. Son fils, ayant revêtu par dérision ses propres habits de gala, l’honore de paroles respectueuses, mais le bafoue et l’outrage par d’insolentes singeries. Sa femme enfin, sa chère Si-Tchoun, l’innocence et la sagesse mêmes, il la voit dans les bras de ce petit coquin de Tou-Fou. C’en est trop, et le désabusé redemande au collyre, cette fois bienfaisant, d’étendre à nouveau sur ses yeux le voile imprudemment déchiré du bonheur. Moralité : l’on a dit souvent de certain accident conjugal, que ce n’est rien, à condition de ne pas le savoir. Il suffirait, d’après M. Clemenceau, de ne pas le voir, voire, après l’avoir vu, de ne plus le voir. L’intolérable ne commencerait pas avec la connaissance, mais seulement avec le spectacle. Et cela, comme on dit aussi, est à voir, ou à savoir.

La musique de cette chinoiserie n’est pas désagréable. Premièrement, et l’on ne peut que l’en féliciter, elle ne fait pas la chinoise. Elle ne se donne pas des airs, de faux airs, d’Extrême-Orient. Elle ne se pique point d’exotisme, ni de couleur locale, et le folklore du Céleste-Empire ne paraît pas l’avoir influencée. Avec cela, ou sans cela plutôt, elle sait être, discrètement, pittoresque ou descriptive. L’arrivée, en cérémonie, et les communications officielles de l’envoyé de l’Empereur forment une scène qui ne manque ni de caractère, ni d’esprit. Le rythme en est vif, l’orchestre pimpant, tintant, et le discours du messager se déroule ou se dévide sur un ton de psalmodie assez plaisant. Je goûte aussi, dans un genre voisin, mais où se mêle, ainsi qu’il convient, un peu de sérieux et de sentiment, la célébration des rites et, sous forme de litanie en l’honneur de l’épouse, les tendres actions de grâces que, parmi les parfums, l’époux encore aveugle adresse aux dieux.

Ce petit ouvrage appartient au genre sinon symphonique, du moins instrumental. L’orchestre y fait presque toute la besogne : besogne légère, facile, qui ne gêne en rien les voix et laisse même entendre les paroles. Un peu de leitmotiv étant inévitable, le collyre ophtalmique a son thème, ou sa formule, qui se compose d’accords volontairement fautifs (suite de quintes) afin d’en être, ou d’en paraître plus étranges et quasi mystérieux. Enfin et surtout, nous avons pris à certaine cantilène, ou romance, de Tchang-I un plaisir, non pas sans