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paix. Mais à peine y fut-il arrivé, que la rupture de l’Autriche avec Napoléon ralluma la guerre. Il s’engagea dans un corps de volontaires, fut blessé à Wagram, et resta en garnison à Prague. Puis il suivit les armées alliées, comme officier d’intendance, jusqu’à leur entrée à Paris. De retour à Berlin, comme la paix semblait désormais assurée, il célébra enfin son mariage avec Rahel, le 27 septembre 1814. Celle-ci passa le même jour au protestantisme. « Il semblait, dit-elle en plaisantant, à voir l’empressement du pasteur qui présidait la cérémonie, que ce fût Spinoza en personne qui lui demandait le baptême. » Quelque temps auparavant, elle avait écrit à Varnhagen : « J’aurais épousé autrefois Urquijo ou Finkenstein par amour, mais il n’est aucun homme à qui j’eusse donné ma main avec autant de confiance et avec une âme aussi libre d’inquiétude qu’à vous. »

Le mois suivant, ils partirent ensemble pour le Congrès de Vienne, auquel Varnhagen assista en qualité de second secrétaire de légation. Ce fut pour tous deux un beau champ d’observation. Toutes les nationalités s’y rencontraient dans un pêle-mêle pittoresque. Varnhagen n’y joua qu’un rôle très effacé, mais il se rendit utile au ministre prussien Hardenberg, qui le fit nommer ensuite chargé d’affaires à Carlsruhe. Ce poste ayant été supprimé en 1819, il rentra à Berlin, avec le titre de conseiller de légation, au traitement de 3 000 thalers. C’est alors que s’ouvrit, au numéro 36 de la Mauerstrasse, le second salon de Rahel.

Douze années s’étaient écoulées depuis que sa première société s’était dispersée, et dans cet intervalle l’Europe avait changé de face. Des questions nouvelles s’imposaient à l’attention des penseurs et des hommes d’Etat. Un besoin de liberté travaillait les peuples que leurs souverains avaient ligués contre Napoléon, et qui demandaient maintenant le prix de leur victoire. La philosophie avait continué son évolution, en s’écartant de plus en plus de la tradition de Kant. A l’idéalisme de Fichte, qui était une grande école de stoïcisme et une vigoureuse affirmation du devoir, avait succédé le panthéisme de Hegel, effort surhumain pour ramener tout le développement du monde physique et moral à un principe unique ; et si l’hégélianisme, malgré ses visées ambitieuses, n’avait pas enrichi le domaine des sciences, il avait du moins secoué fortement les esprits. Un disciple de Hegel, Edouard Gans, un coreligionnaire de Rahel