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UN SALON ALLEMAND
AU TEMPS DU ROMANTISME[1]

Quand Mme de Staël arriva à Berlin, au mois de mars 1804, le prince Louis-Ferdinand lui parla avec admiration d’une Juive, nommée Rahel Levin, qui réunissait dans son salon la société la plus distinguée de la ville. Elle en fut étonnée, presque jalouse. Voyant, quelque temps après, son ami Brinckmann, ambassadeur de Suède à la cour de Prusse, elle lui dit : « Il y a ici, paraît-il, une petite Berlinoise qui ferait de l’effet dans les cercles de Paris. La connaissez-vous ? A-t-elle réellement tant d’esprit ? — De l’esprit ? répondit Brinckmann. Si elle n’avait que cela, il n’y aurait pas lieu de tant parler d’elle. Dira-t-on de Mme de Staël qu’elle a beaucoup d’esprit ? — Vous me la comparez à moi ? reprit-elle. Cela devient intéressant. A-t-elle écrit quelque chose ? — Non, je crois même qu’elle n’écrira jamais rien ; mais elle a du génie, et de quoi en prêter à vingt écrivains qui en manquent. » Mm# de Staël voulut voir la « merveille. » Brinckmann se chargea de les mettre en présence dans une soirée qu’il donna à l’hôtel de l’ambassade. Mais il faut laisser raconter la suite à Brinckmann lui-même :

« J’avais invité tout ce qui pouvait inspirer quelque intérêt à l’auteur de Delphine, des princes du sang, des savans de toute couleur, des dames de la cour, le philosophe Fichte, Mlle Inzelmann, la célèbre actrice, Iffland, le directeur du Grand-Théâtre, d’autres

  1. J.-E. Spenlé, Rahel. Paris, Hachette, 1910. — 0. Berdrow, Rahel Varnhagen. Stuttgart, 1900.