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manteaux de camp avec de grands plis en diagonale, de l’épaule aux pieds, accentuent leur caractère de « gisans. » Les faces sont empreintes encore d’anxiété et de souffrance, comme s’ils cherchaient encore, dans leur lourd sommeil, à s’orienter sur les invisibles chemins du ciel.

L’aspect de cette œuvre est tragique, pesant, vraiment monumental. Les longs plis labourés dans le granit de Bretagne, les faces taillées comme des rocs, les rares vestiges des uniformes çà et là équarris et traités comme des motifs de chapiteaux, tout concourt à fortifier cette impression. Et c’est bien le sentiment moderne devant la mort, — qu’elle soit glorieuse ou obscure, — le sentiment qu’on a déjà devant le Cavaignac de Rude, les Morts de M. Bartholomé : celui du lourd sommeil, de la solitude et de l’abandon. Il n’y a plus, autour du gisant, les anges du moyen âge ombrageant son front de leurs ailes. Il n’y a plus les pleurans sauvant son âme de leurs larmes. Il n’y a plus les vertus ou les symboles célébrant sa mémoire de leurs gestes et leurs affabulations compliquées. Il n’est plus besoin de figures symboliques pour que notre esprit évoque la grandeur de leur sacrifice. Les seuls pleurans seront les voyageurs arrêtés un instant sur le bord de la route. Et nulle ombre ne passera sur ces fronts de pierre que l’ombre des nuages, en marche dans le ciel, à la ressemblance de la nef qu’ils ont rêvé d’y conduire.

L’auteur de ce monument, M. Bouchard, est de Dijon ; il a vu, tout enfant, le tombeau de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur. Il est tout imprégné de ces exemples fameux ; il a le culte des « tombiers » du moyen âge. Et, ainsi, tout auprès de ses gisans héroïques, il a dressé, en plâtre, l’image présumée de son glorieux ancêtre Claus Sluter, le ciseau et le maillet à la main. Il n’a pu faire, là, une figure proprement historique. On ne connaît pas les traits de Claus Sluter. Mais il a fait une belle figure professionnelle. Aussi saisissant que la tombe, apparaît la silhouette du vieux « tombier. »

Qui nous donnera maintenant la statue de l’aviateur, de l’homme qui chemine dans le vide, qui creuse son tunnel dans le nuage, qui s’enfonce et rebondit sur l’élastique sommier de l’air, qui voit entre ses pieds les dômes comme des assiettes, les navires comme des escarpins, les cathédrales en géométral ? Il ne s’agit point, ici, d’une figuration réaliste. Nous n’avons nul besoin qu’on nous donne la statue d’un Esquimau à lunettes,