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provinciaux ce qu’il faut « voir » par l’imagination, lorsqu’ils lisent, dans les Échos mondains, ces lignes prestigieuses : Une heure de musique, chez la princesse ou la marquise de ***, et M. Béraud nous initie sans pitié à la « vie intense » des grands clubs.

Mais la plupart de nos bons artistes s’attachent à reproduire des scènes familières, sérieuses, touchantes seulement par ce qu’elles évoquent, empruntant leur poésie pittoresque à la lumière qui les éclaire et leur poésie sentimentale à la pensée de qui les regarde. Ainsi, les Orphelines de M. Boutet de Monvel, Avant la Procession de M. Frédéric, La leçon de géographie de M. Prinet, la Place à papa, de M. Moreau, Intérieur paisible de M. Larrue, l’Heure du thé de M. Picquefeu, les Poissons rouges de M. Toussaint, le Passé et l’Avenir de M. Benner, Enfans et mère de M. Woog et le Déjeuner des orphelines le jour de la première communion de M. Emile Renard. Rien que ces titres dit la pensée dominante de l’artiste aujourd’hui. Et les deux toiles les plus importantes de « genre, » les Servantes pliant le linge, de M. Bail, aux Champs-Elysées, et Jeunesse de M. Frieseke, avenue d’Antin, l’une éclairée, à la hollandaise, par un jour étroit, l’autre baignée de lumière diffuse, donnent bien, par des moyens tout différens et même contradictoires, une forte impression d’intimité.

Cette intimité ne s’arrête pas au « genre : » elle a pénétré dans le paysage et l’a conquis presque tout entier. Seuls, M. Olive avec ses mers violettes dans ses rochers et M. Iwill, avec ses longues étendues de sables et d’eaux, montrent encore des paysages ouverts et qu’on peut imaginer, au moins chez M. Olive, bruyans. Tous les autres paysagistes montrent des coins de nature fermés et silencieux. Un paysage « intime, » c’est un paysage où il y a peu de ciel, pas d’eaux courantes, pas de forêt innombrable, pas de grands horizons : c’est un coin de nature habité par l’homme, mais où l’homme ne paraît pas, qui porte son empreinte, mais qui n’est pas troublé par sa présence, où l’arbre, le vieux pont, la porte vermoulue, reçoivent dans l’intimité : c’est la figure que font nos arbres et nos meubles familiers quand nous ne sommes pas là : c’est ce qui se passe au ras de terre, au creux du vallon, loin de cette foule qu’est le ciel, avec tous ses nuages frivoles et changeans.

Tous nos paysagistes ne sont pas des « intimistes, » mais tous ils limitent leur ambition à rendre une seule impression à