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Dans ce grand domaine du symbole, ou de l’allégorie, de la légende ou de la pure fantaisie, M. Besnard n’est pas le seul maître, et il semble bien que tous les talens d’aujourd’hui s’y donnent rendez-vous. M. Gaston La Touche s’y promène avec une incomparable aisance, découvrant, à chaque tour du chemin, — ou de la rivière, — un coin imprévu. M. Aman Jean s’y rembûche, un peu tristement, mais avec grâce et finesse, dans une pensée parfois incomplète, souvent trahie par sa matière, jamais banale ou commune. Cette région indéfinie où le portrait touche à la décoration, où la réalité rencontre le rêve, où l’ironie souriante se glisse parmi les grands contours de la fresque, répond sans doute à quelque chose de très vivant dans l’âme contemporaine, car nous y voyons se produire depuis dix ans les meilleures œuvres de nos derniers Salons.


III

Tout auprès, c’est-à-dire sur les confins de la peinture de « genre, » se tient l’art de M. Muenier. Mais peut-on appeler « genre » un art qui fait dans l’humanité de si profondes découvertes ? Il y a deux manières de découvrir l’humanité : faire le tour du monde ou se rencogner dans son fauteuil. M. Muenier a pris ce dernier parti. Il a pensé que, si « le monde est fait comme notre village, » la nature est faite comme notre jardin, et que partout où l’on va, on découvre que l’eau mouille, les pierres sont dures, les montagnes plus hautes que les vallées, et les quinze cents millions d’hommes qui vivent sur le globe quinze cents millions d’exemplaires de la même folie. Bien nourri de cette vérité, il ne bouge pas de la vieille maison de province où chaque été lui ramène les mêmes fantômes dorés. Dans le vieux salon aux boiseries de l’avant-dernier siècle, au parquet limpide comme un lac, aux cadres ovales, aux glaces ternies, il se tient depuis des années. Il ne va pas saluer le soleil au haut de la montagne dans ses apothéoses et ce qu’on pourrait appeler ses réceptions officielles, lorsqu’il se prodigue aux multitudes, aux toits, aux forêts, aux clochers, aux rivières ; il l’attend dans le petit salon clos ; il sait bien qu’il viendra en visite et, dans l’intimité qu’il lui a ménagée, s’apprête à bien fêter son rayon d’or.

Il attend aussi, devant ce clavecin vert, qu’une main légère