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prendre leur bain, ni les couronnes d’or de se poser aux fronts des poètes, ni le lion de dormir, ni M. Besnard d’être un grand peintre.

Car c’est, là, un étonnant morceau de peinture. Les antithèses de couleurs sont violentes, mais superbes ; les mouvemens sont bistournés, mais robustes et divertissans. Il y a une vie et une fantaisie intenses dans tous ces gestes, toutes ces contorsions, toutes ces envolées, tous ces rires amers, tout ce flamboiement mêlé d’aurore et d’incendie. « Qu’est-ce que vous pensez de ça ? » demandait un jour Baudry, au pompier qu’il voyait en contemplation devant ses peintures pour le foyer de l’Opéra. « Je pense, répondit sentencieusement ce pyrologiste, que quand tout ça brûlera, ça fera de la bien mauvaise fumée !… » Le plafond de M. Besnard semble déjà en feu, mais la fumée n’est pas mauvaise : elle est merveilleuse et le peintre a retrouvé, pour étinceler sous le lustre, ces éclats de métaux en fusion, qu’il a répandus sur les murs de la Sorbonne. Ses figures, porteuses de couronnes, semblent projetées en l’air par une éruption volcanique, avec une fougue toute « tiépolesque. » Il est bien dans son élément : la décoration de grands espaces libres, hors de toute donnée rigoureuse, avec le seul souci d’harmoniser des couleurs vives et de confronter des attitudes augustes. Il y a peu de coloristes aussi hardis, ni quelquefois aussi heureux. Il n’y a peut-être pas, aujourd’hui, de dessinateur pouvant oser des mouvemens aussi violens, ni aussi justes, d’artiste, en un mot, que son talent, rende plus généreux et plus libre. Très inégal dans ses portraits tantôt excellens, tantôt détestables, souvent gêné par la réalité, quand la réalité veut être reproduite, il triomphe quand la seule loi est la fantaisie, — et utilise ses dons naturels avec beaucoup d’intelligence et de finesse.

Est-ce là un éloge suffisant de ce Maître ? Au regard de l’admiration enthousiaste que le présent lui témoigne, non sans doute. Mais au regard de celle que l’avenir lui gardera, peut-être ? L’unanimité de la critique en faveur des hardiesses et même des erreurs de M. Besnard ne doit nullement nous surprendre, ni nous influencer. Il y a, ainsi, dans chaque génération, quelques maîtres qui expriment si bien le sentiment d’art dominant qu’on les met, un instant, au-dessus de tout le reste. Dans l’admiration exclusive qu’on leur voue, on accepte tout deux