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qui a passé sa vie à réhabiliter par l’art les temps mal définis et des races incertaines.

Du reste, un mouvement d’opinion semble se dessiner, depuis quelque temps, en faveur de Camulogène. Un livre lui a été consacré, à lui et au lieu fameux, mais inconnu où, dit-on, il livra sa bataille, à ce Metiosedum, que M. Cormon peint hardiment, comme s’il l’avait vu. Camulogène a longtemps attendu son jour. C’est une gloire tardive et d’ailleurs éphémère, car M. Cormon ne le tire de l’obscurité de l’Histoire que pour le replonger aussitôt dans l’obscurité des plafonds. Et, en vérité, nous ne saurions nous en affliger, car rien n’est ingrat, en Art, comme ces figures qui ne sont pas assez légendaires pour qu’on les peigne de fantaisie et point assez historiques pour qu’on sache comment elles étaient faites. Heureux les peuples qui n’ont pas de préhistoire !

Mieux vaut la Fable toute pure, telle que l’imagine M. Besnard. Le Plafond de M. Besnard, avenue d’Antin, est une des plus surprenantes énigmes que le maître coloriste ait proposées jusqu’ici à la sagacité de ses contemporains. Un homme et une femme debout se tordent de rire en voyant un grand gaillard se renverser dans un arbre bleu pour leur tendre un petit fruit qui ne les nourrira guère, mais qui alimentera le Drame et la Comédie pendant toute la suite des temps à venir. C’est merveille, en effet, tout ce qu’on a tiré, en vers et en prose, de ce fruit-là. Dans un coin, une grande femme rouge se rencogne et se renfrogne ; de l’autre côté, une sorcière verte, le genou remonté sous le menton, rit à gorge déployée ; un lion, l’air navré, sommeille, cependant qu’au haut d’un escalier, quatre bonzes, en peignoir, attendent patiemment la fin du bain de vapeur sulfureuse où ils sont plongés, et que deux femmes dégringolent du haut du ciel, tendant vers des têtes invisibles le double collier de leurs bras nus et de leurs couronnes d’or. Enfin, au pied de l’arbre bleu, un grand chien, qui a peur, jappe éperdument : seul, de tout ce monde, il a vu ou flairé que le grimpeur d’arbres, donateur de pommes, n’a point des jambes comme tout le monde, mais se termine en une queue de serpent, dont les monstrueux replis ondulent sous le feuillage. La pauvre bête a beau aboyer au ferme, nul ne l’écoute et ses jappemens prophétiques n’empêcheront ni le couple de manger du fruit, ni les sorcières d’en rire, ni les bonzes de