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une restitution manifestement hasardeuse, impossible. Est-ce de l’histoire ? Est-il sûr que les choses se passaient ainsi ; tous ces détails sont-ils exacts ? Et, s’ils ne le sont pas, pourquoi nous les donner ? Pourquoi ne pas faire de la pure fantaisie ? Nous voulons, si l’on nous ressuscite le Passé, que ce soit bien, en effet, ce Passé qui ressuscite, et non point un coin du Présent qu’on travestit. Nous demandons aujourd’hui, au peintre qui raconte, comme à l’historien qui dépeint, une sûreté d’information qui nous donne toute confiance. Or l’historien peut s’y tenir car il lui est toujours loisible, quand il ne sait pas une chose, de ne pas la dire, tandis qu’un peintre, s’il a commencé de peindre une figure ou une scène, est bien obligé de la mener jusqu’au bout et, s’il n’en sait pas le bout, de l’inventer. Il y a quelques années, un excellent artiste avait entrepris de nous montrer la fête et la foire du Lendit, à Saint-Denis, vers la fin du moyen âge, et il avait mis tous ses soins à une exacte reconstitution des costumes. Malheureusement, il ne savait pas quels arbres, au juste, ombrageaient, au XVe siècle, le Lendit, et il joncha bravement le sol de larges feuilles de marronniers d’Inde, — ce qui suffit pour mettre en déroute l’illusion qu’on pouvait avoir d’être transporté dans ce lointain passé. De tels accidens sont presque inévitables. Ils ne nuisent nullement à l’artiste, mais ils tuent l’historien. Le goût que nous avons désormais de l’Histoire vraie, — si naïf qu’il puisse être, — nous éloigne de la peinture d’Histoire. Comme l’Art religieux, comme la peinture militaire, elle paraît bien, désormais, un genre condamné.


II

Reste le symbole et la grande fantaisie, la large conception décorative, ce qui est propre, sans soulever d’objection d’ordre rationaliste, à animer les murailles, à remplir les vides, à peupler les plafonds. Sans doute, c’est un genre plein de périls.

Parmi toutes les conditions humaines auxquelles on oublie d’accorder la pitié qu’elles méritent, je n’en connais pas de plus misérable que celle de peintre de plafonds. Jamais ce malheureux peut-il être jugé de façon équitable ? Tout son travail est fait pour et justifié par la place qu’il doit occuper. Or quand on le voit, il n’est pas en place et quand il est en place, on ne le