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aujourd’hui. Même privées d’accessoires surnaturels, les figures divines, celle du Christ, surtout, effraient tellement l’artiste qu’il n’ose plus les aborder, — et, d’ailleurs, dans l’œuvre des maîtres que je viens de dire, c’est toujours la figure du Christ que les croyans ont le moins aimée. Elle disparaît donc maintenant : elle remonte dans cet inconnu où elle demeura pendant les premiers siècles de l’Eglise, hors de l’atteinte des imaginations humaines. Le seul tableau religieux digne d’être retenu, aux deux Salons, est un carton de vitrail pour une église de Suisse, représentant le Sermon sur la Montagne, de M. Burnand, l’auteur des Paraboles. C’est une œuvre grave, vraie, de couleurs simples et expressément choisies pour être traduites en vitrail, digne, en un mot, de M. Burnand. En face, par un hasard singulier, on voit, peint par M. Harold Speed, le portrait d’un vieillard à barbe blanche, à robe rouge, une robe d’universitaire anglais, l’œil vif, l’air naïf et un peu extasié ; c’est Holman Hunt, D. C. L., le dernier grand peintre religieux mort il y a quelques mois. Il a laissé à M. Burnand, non sa robe rouge, mais son manteau. M. Burnand reste seul, aujourd’hui, en Europe, à nous donner de belles images de l’Evangile. D’autres pourront venir, mais les thèmes surnaturels de l’art religieux semblent bien abandonnés pour toujours.


Abandonnés, aussi, les sujets militaires. Pendant longtemps, la « peinture-bataille » triompha dans les Salons, comme, dans les écoles, l’« histoire-bataille, » et l’on ne pourrait faire une histoire de la peinture française sans parler de ses peintres de tueries héroïques et chamarrées. Aujourd’hui, on cherche vainement une bataille, peinte en 1910, dans tout le Salon de l’avenue d’Antin. Aux Champs-Elysées, il y a encore quelques hommes de talent comme M. Robiquet avec son Colonel de Lacarre à Elsasshausen, ou M. Tattegrain, avec sa Batterie de côte engagée, blocus continental, qui s’attardent à ce genre suranné. Mais ce ne sont, là, que les coups de fusil retardataires qui éclatent, le soir, après que l’action est finie, et quand tout le monde mange sa soupe : ils ne changent rien au résultat de l’affaire : il semble bien que la peinture militaire est perdue.

Elle n’est point la victime d’une évolution dans les sentimens, comme la peinture religieuse, mais d’une éclipse de son objet même. D’abord, il n’y a plus, dans notre voisinage, de guerre,