Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mitrailleuses, et Taïtou a compris depuis lors qu’il convenait qu’elle se tînt tranquille si elle ne voulait pas aller finir ses jours sur le plateau venteux et glacial de quelque amba.

Depuis cette alerte, Tessama est malheureusement mort, mais l’armée de Ménélik est commandée par le général Hapté Ghiorguis, personnage solide, d’autant plus attaché à l’ordre, qu’il ne saurait avoir des ambitions plus hautes que celles qu’il satisfait actuellement. Galla d’origine, il ne peut aspirer au Trône et il doit, par conséquent, travailler à consolider celui du jeune Lidj Yassou. C’est dans les conseils que cet accomplissement des volontés de Ménélik aura lieu sans résistances. L’Ethiopie, subjuguée et presque séduite par l’autorité et la vigueur du Grand Négous se sent pour lui une sorte de loyalisme : ceux que sa force a courbés ne sont pas encore prêts à redresser l’échiné. Pour le peuple, d’ailleurs, Ménélik est toujours vivant dans son guébi : Hapté Ghiorguis commande l’armée en son nom. Sans doute lorsque l’on annoncera que Ménélik a achevé de mourir, des agitations, peut-être incitées par des intrigues étrangères, risqueront de se manifester. Les gens du Nord voudront peut-être disputer la prééminence acquise par le Choa, jusqu’aux temps modernes province secondaire. Des ambitieux s’inspireront de l’idée exprimée dans cette parole, prononcée naguère par un Ras devant un de nos compatriotes : « En Ethiopie, celui qui a le plus grand sabre est Négous. » Mais jamais le pouvoir n’avait été si fort que pendant le règne de Ménélik, jamais armée éthiopienne n’avait été aussi forte que celle qu’il laisse. Ces raisons, et aussi la vague inquiétude que le dehors commence à inspirer aux plus intelligens des Éthiopiens, permettent d’espérer que la disparition complète du Grand Négous ne sera pas, comme l’aurait voulu une prédiction banale à force d’être répétée, le signal immédiat d’un nouveau démembrement de l’Empire, puis de l’anéantissement de l’indépendance éthiopienne.


ROBERT DE CAIX.