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des 18 000 Anglo-Égyptiens de lord Kitchener. Tandis que les quelques Français, lancés vers le Nil, étaient condamnés à faire quelque chose avec rien, les Anglo-Egyptiens s’avançaient avec une méthode qui ne laissait rien au hasard ; ils étaient comblés de tous les moyens d’action, suivis par un chemin de fer qui s’allongeait derrière eux à chacune de leurs étapes et appuyés sur toute l’opinion britannique alors furieusement éprise de la formule « du Cap au Caire. » Il n’y eut d’admirable de notre côté, dans cette partie si pauvrement engagée, que les exécutans, qu’ils partissent de la Mer-Rouge ou de l’Atlantique. En elle-même toute cette entreprise répondait bien mal à la définition donnée à la Chambre après sa fâcheuse liquidation : « une politique qui, voulant le but, s’inquiète des moyens et ne laisse pas au hasard le soin d’assurer le succès. »

Mais ces tentatives qui devaient nous mener à Fachoda eurent au moins, comme nous l’avons dit, un résultat, celui de porter les Ethiopiens jusqu’à leurs frontières naturelles. Ce n’est pas en vain que nos compatriotes, le capitaine Clochette et M. Potter, moururent dans cet effort pour aller par l’Est au-devant de la mission Marchand. En somme, si, pour l’objet que nous poursuivions alors, il était utile d’établir les soldats de Ménélik sur la rive droite du Nil Blanc, en face des Français qui viendraient se fixer à la rive gauche, une pareille expansion, pour les Éthiopiens, eût forcé l’utilité autant que la nature.

MM. Potter et Faivre, accompagnés du capitaine russe Artamanof et menant une expédition légère détachée par le Ras Tessama, réussirent bien à planter le drapeau du Négous sur le Nil, le 22 juin 1898, mais, menacés dans le marais par la saison des pluies dont l’approche épouvantait leurs soldats éthiopiens, ils durent immédiatement revenir en arrière. Ces couleurs solitaires furent la seule aide venant de l’Ethiopie que devait trouver sur le Nil la mission Marchand, qui les salua quelques jours plus tard au passage, en descendant le fleuve pour aller occuper Fachoda. Toutefois ce raid, manifestation sans lendemain, n’était que l’exagération éphémère d’une œuvre qui, plus en arrière, devait être solide et durable. Nos compatriotes avaient, en effet, réussi à entraîner le gros des forces de Tessama jusqu’au rebord des montagnes et même jusqu’au commencement de la plaine du Nil où les Éthiopiens n’osaient pas