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L’Italie était alors en plein rêve érythréen. Sa grande pensée coloniale était de réunir, en englobant l’Ethiopie, Assab et Massaouah, occupées en 1882 et 1885, à la côte du Bénadir sur laquelle le drapeau italien flottait depuis 1888. Aveuglée par les luttes qu’elle avait eues avec le Tigré, voyant en lui le seul ennemi, l’Italie se laisse aller à l’étrange illusion de croire que le roi du Choa serait amené à favoriser la réalisation de ce grand projet. Sans mesurer les forces en présence, ni songer à user le Tigré et le Choa l’un contre l’autre, sans craindre de nourrir un renard qui lui mangerait ses poules, elle prit Ménélik comme client contre Mangacha. Elle conclut avec lui, le 2 mai 1889, le fameux traité d’Ucciali, par lequel Ménélik, pour ne pas se compromettre comme traître à la patrie éthiopienne, limitait le territoire italien à une étroite banlieue autour de Massaouah, mais semblait accepter un vague contrôle italien sur ses relations avec l’extérieur. A Rome, on se préoccupa moins de cette restriction territoriale que l’on ne crut avoir obtenu un véritable traité de protectorat. La Banque de Florence prêta quatre millions à Ménélik, qui n’eut pas de peine à réduire à merci le roi du Tigré, menacé d’ailleurs au Nord par les Italiens, et à se faire sacrer Roi des Rois à Axoum, le Reims éthiopien.

Immédiatement allait commencer entre le nouveau Négous et ses amis italiens la querelle qui devait être tranchée six années plus tard par la bataille d’Adoua. Ce fut d’abord une longue dispute sur l’interprétation du traité d’Ucciali. Le texte italien disait que le Négous « devait, » mais le texte amharique disait seulement qu’il « pouvait » passer par l’intermédiaire de l’Italie pour ses relations avec l’extérieur. Cette discussion sur le sens d’une des clauses du traité fut bien vite envenimée par la violation d’une autre : les Italiens n’avaient plus matériellement devant eux les forces du Négous comme à l’époque où Johannès ne cessait de camper en face de leurs avant-postes au Nord du Tigré ; ils ne respectèrent pas la frontière du traité d’Ucciali et, en 4890, le général Orero entra à Adoua. C’était réconcilier Mangacha et Ménélik et faire contre l’Italie l’unité éthiopienne.

Le Négous ne pouvait d’ailleurs se faire aucune illusion : la politique du partage de l’Afrique, pour ainsi dire à grands coups de méridiens et de parallèles, ne respectait pas son pays. Le 24 mars et le 15 avril 1891, l’Italie et l’Angleterre signaient des protocoles qui reconnaissaient aux Anglais tout le Soudan