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passent dans le pays. Mais sa charge peut-être la plus lourde est la corvée. Elle consiste surtout dans ce portage, qui est également un des pires fléaux des colonies européennes encore mal équipées. Souvent le gabare doit marcher deux mois pour amener les denrées de son maître sur le marché d’Addis Ababa et en revenir. D’autres fois il suivra une expédition avec le bagage d’un soldat sur le dos. Une armée éthiopienne est, en effet, une horde composite. L’intendance n’est assurée que par les domestiques et les femmes qui portent les vivres de chaque soldat. Le guerrier, lui, ne porte rien, souvent pas même son fusil qui est, pendant les marches, sur l’épaule d’un gamin.

Tel est le prix que coûte au Galla la conquête éthiopienne. Elle ne lui donne rien en échange que l’exemption du massacre autrefois de rigueur. L’effort d’assimilation du vainqueur se borne à mener par troupeaux les Gallas aux églises coptes des conquérans, où on leur remet le matébe, cordon de soie bleue insigne du baptême éthiopien et symbole d’une conversion dont la sincérité se devine. Les exactions des garnisaires menacent de ruiner peu à peu le pays en démoralisant le Galla, naguère si bon cultivateur. Cette conquête, à moins d’une réforme que rien ne fait prévoir, n’est pas une solide œuvre d’avenir. Mais, comme nous l’avons indiqué, Ménélik, en l’étendant de plus en plus loin dans le Sud-Ouest, en a tiré beaucoup de moyens d’action.

Les redevances des chefs auxquels il distribua les terres conquises lui apportent, surtout au moment des grandes fêtes religieuses, de la poudre d’or, de l’ivoire, de la civette, du café. Avec ces denrées, il a pu payer les milliers de fusils et les millions de cartouches qui l’ont rendu le maître, le grand dispensateur d’armes. Les chefs, auxquels les pays gallas sont donnés, hésitent d’autant moins à enrichir le souverain que les plus grands sont ses parens et que tous attendent de lui les fusils et les munitions dont ils ont besoin. Ils sont d’autant plus fidèles que Ménélik ne leur donne les terres qu’en tenure essentiellement révocable. S’ils bronchaient, d’autres seraient toujours prêts à prendre leur place. Et le Négous a ainsi largement de quoi armer beaucoup de soldats, les entretenir, les vêtir, les réunir dans de pantagruéliques guébeurs et les honorer en donnant aux plus valeureux des peaux de léopards et de lions. C’est ainsi que ces pays du Sud, riches en éléphans et dont