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aucune culture n’avait encore apporté les moyens de constituer un État cohérent ne pensaient qu’à travailler amoureusement leurs terres dont la fertilité leur assurait une vie facile. Si les Ethiopiens ne se sont pas saisis plus tôt de cette proie, et n’ont pas conquis tous les plateaux dont l’altitude dans l’Afrique chaude, comme en Amérique, permet à une humanité vigoureuse de vivre jusque sous les tropiques, c’est qu’eux-mêmes étaient très divisés : quand la menace islamique leur laissait un répit, gens du Tigré, de l’Amhara et du Godjam s’usaient en luttes intestines.

Le puceron gai la ne pouvait cependant vivre en paix à côté d’un nid de fourmis guerrières comme l’Ethiopie. Les routiers du Nord le razziaient exactement comme les pieux musulmans soudanais, avant de subir la paix européenne, razziaient tous les peuples fétichistes qui les bordaient au Sud, sur toute la largeur de l’Afrique, depuis le Nil jusqu’à l’Atlantique. Une fois la récolte engrangée, la saison sèche bien établie, en novembre, les seigneurs éthiopiens se mettaient en route avec leurs guerriers et leurs serviteurs pour aller « gaigner » sur quelque tribu galla. Ils savaient que telle de ces tribus n’avait pas reçu depuis plusieurs années de visite éthiopienne, qu’elle avait pu refaire sa population, ses troupeaux et ses réserves de grains : la moisson était donc mûre pour les pillards. Alors on partait avec la sécurité que donne la possession de fusils lorsqu’on va combattre des gens qui n’ont que des lances : les Éthiopiens ont des armes à feu en grand nombre depuis le XVIIe siècle. On cernait, on fouillait une montagne, on se donnait la gloire de tuer tous les hommes qui n’arrivaient pas à se cacher au fond de la brousse. On faisait quelque temps ripaille sur les réserves de grains des vaincus. Puis, lorsque le pays était mangé, les Éthiopiens rentraient, traînant avec eux les troupeaux, les femmes et les enfans. Ils regagnaient leur pays vers le temps des Pâques ; ils gardaient une partie des femmes captives qui devenaient concubines ou pileuses de mil selon leur âge, et vendaient le reste aux trafiquans musulmans de la côte avec les petits garçons dont ils avaient fait des eunuques. Les soldats devenaient ensuite laboureurs jusqu’à la moisson pour repartir en expédition au commencement de la saison sèche suivante.

Tel était le mode d’exploitation barbare et en somme peu