Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/622

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matérielle se révèle à la simple comparaison des cartes d’il y a vingt-cinq ans avec celles d’aujourd’hui. Les premières nous montrent le Choa tout à l’extrémité de l’Ethiopie dont, au Sud, les confins incertains flottent sur des régions qui le sont encore plus. Les secondes au contraire portent une Ethiopie massive, doublée au Sud, arrivée à couvrir tous les hauts plateaux et dans laquelle la capitale choane, Addis Ababa, est devenue une ville centrale. Les frontières de l’Empire qui touchent au Sobat, au lac Rodolphe et englobent le lac Stéphanie sont partout reconnues par des traités formels avec les puissances européennes voisines. Tout cela est l’œuvre de Ménélik, conseillé, il faut le dire, par des Français qui ne cessèrent de lui montrer la nécessité pour l’Ethiopie, dans l’Afrique nouvelle qui se faisait autour de ses hautes terres assurées jusque-là d’un si « splendide isolement, » de remplir ses frontières naturelles.

Jusqu’au Grand Négous, les Ethiopiens ne possédaient que la partie septentrionale de leur plateau, — véritable île entre le désert et les plaines du Nil qui se présentent comme une immensité alternativement inondée par le fleuve ou craquelée par la sécheresse. Les magnifiques pays du Sud, portant leurs champs fertiles, mieux arrosés que ceux de l’Abyssinie du Nord, à une altitude de 1 600 à 2 000 mètres, c’est-à-dire continuant sans transition la vieille Ethiopie, semblaient cependant appeler la conquête éthiopienne, que repoussaient à l’Est le désert et à l’Ouest les fièvres et les immenses roselières du marais nilotique. Les Ethiopiens qui avaient commencé à recevoir des rudimens de civilisation dès les temps pharaoniques, qui, gardés par la montagne, avaient su défendre leur indépendance de Chrétiens contre tous les assauts de l’Islam et s’organiser quelque peu, possédaient en outre l’avantage de ne trouver devant eux au Sud qu’un peuple sans aucune cohésion. Les Gallas, de race toute différente, apparentés, semble-t-il, à ces noirs supérieurs qui occupent toutes les hautes terres de l’Est du continent, du pays des Cafres jusqu’à l’Ethiopie, étaient divisés en tribus incapables de concevoir l’idée de patrie commune qui unissait les Ethiopiens au moins devant la menace extérieure. Chaque tribu, campée sur sa montagne, était en guerre avec la tribu voisine : les vallées désertes, souvent profondes d’un millier de mètres, qui entaillent le plateau servaient de champs de bataille à ces frères ennemis. Les Gallas auxquels