Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’heure de Ménélik n’est cependant pas venue. Le Tigré, le Nord de l’Empire, donne encore un Négous à l’Ethiopie en la personne de Johannès. Ménélik tâte ce rival qui a, dit-on, reçu des armes des Anglais désireux de se faire un ami du principal prétendant au trône éthiopien. Il le trouve trop fort pour engager à fond la lutte et, trop formidable lui-même pour être inquiété par son suzerain dans le Sud, il va y poursuivre l’œuvre dont les résultats le rendront assez puissant pour que, en 1889, après la mort de Johannès, il arrive presque sans coup férir à se faire sacrer Roi des Rois.

C’est par une sorte de politique coloniale, par la conquête des fertiles pays Gallas du Sud, et aussi par l’entretien systématique de relations avec les Européens que Ménélik, pendant ces vingt années, se procurera des richesses et des armes, c’est-à-dire la puissance, surtout dans un pays de condottieri comme l’Ethiopie. La position géographique du Choa et aussi l’histoire l’y aident. Le Choa est à l’extrémité de l’Abyssinie ; sur son territoire s’ouvre la seule entaille qui interrompe à l’Est la grande falaise éthiopienne : la vallée de l’Aouache qui coule dans la faille de l’écorce terrestre que la mer remplit jusqu’au fond du golfe de Tadjoura. Longtemps cette situation excentrique et cette brèche ont été pour le Choa une cause de faiblesse et un danger. Par là, au XVIe siècle, est montée l’invasion musulmane de Mohammed le Gaucher qui a conquis le pays choan et à qui le reste de l’Ethiopie chrétienne n’a échappé que grâce au secours des Portugais appelés par le Pape à cette croisade tardive et peu connue. Au temps de Ménélik, la marée islamique est en baisse. Un moment, en 1875, il semble pourtant qu’elle va remonter ; les Égyptiens du khédive Ismaïl occupent Harrar où régnait un émir indépendant. Mais cette entreprise n’est qu’une partie d’un mouvement général que l’Egypte tente contre l’Ethiopie et que, en 1876, le Négous Johannès arrêtera net dans le Nord par une écrasante victoire.

Et par la brèche de l’Aouache, au lieu d’une menace, il vient à Ménélik une aide incessante, celle des Français. Si le Négous qui achève de mourir a été une personnalité intéressante pour tous les Européens, il fut pour nous presque un élève et un client. Les relations du Choa avec la France, comme