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de feu, fulguraient sous lui. Et Zoroastre entendit la voix d’Ormuz rouler à travers l’espace et vibrer à travers son cœur.

— Pourquoi, disait-elle, veux-tu connaître ce qui n’appartient qu’à ton Dieu ? Aucun prophète ne connaît toutes les pensées du Verbe. Ne doute pas d’Ahoura-Mazda, Zoroastre, ô toi le meilleur des hommes, car je porte dans ma balance le destin de tous les êtres et le tien propre. Tu veux savoir le destin de ta race ? Regarde donc ce que les peuples d’Asie vont faire des trois animaux qui soutiennent mon trône.

La vision fulgurante d’Ormuz disparut, et Zoroastre fut transporté en esprit dans les temps futurs. Volant à travers l’espace, il vit défiler à ses pieds le tumulte des montagnes et la fuite éperdue des plaines comme le rouleau d’un grand livre qui se déroule. Il aperçut l’Iran jusqu’à la mer Caspienne, la Perse jusqu’au Taurus et au Caucase, la Mésopotamie jusqu’au golfe Persique. Il vit d’abord un flot de Touraniens reprendre la forteresse de Baktra et profaner le temple d’Ormuz. Puis il vit, sur les bords du Tigre, se dresser l’orgueilleuse Ninive, palais, tours et temples. Un taureau gigantesque, ailé, à tête humaine, symbole de sa puissance, posait au sommet de la ville. Et Zoroastre vit ce taureau se changer en un buffle sauvage et ravager les plaines et piétiner les peuples d’alentour, au milieu desquels les purs Aryas fuyaient en masse vers le Nord. Puis il vit, cité plus vaste encore, sur les bords de l’Euphrate, s’élever, avec sa double enceinte et ses pyramides, la monstrueuse Babylone. Dans un de ses sanctuaires, dormait roulé sur lui-même un serpent colossal. L’aigle d’Ormuz, qui volait par les airs, voulut l’attaquer. Mais le serpent lové le chassa d’un souffle de feu, et s’en alla baver son poison sur tous les peuples d’alentour. Enfin Zoroastre vit le lion ailé marcher victorieux à la tête d’une armée de Perses et de Mèdes. Mais soudain le roi du désert se changea en un tigre féroce qui dévorait les peuples et déchirait les prêtres jusqu’au fond du temple du soleil, aux bords du Nil.

Et Zoroastre s’éveilla de son rêve avec un cri d’horreur : « Si tel est l’avenir qui menace les Aryas, de la race des purs et des forts, s’écria le prophète, j’ai combattu en vain. S’il en est ainsi, je m’en vais receindre mon épée, qui jusqu’à ce jour est restée vierge de sang ennemi et la tremper jusqu’à la garde dans le sang touranien. Moi, vieillard, j’irai seul vers l’Iran,