Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/606

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en trombes et en rafales, du vent désespéré qui répondait à la voix âpre et sauvage du torrent.

Cependant, peu à peu, de mois en mois, en ses visites espacées, l’Ombre-Femme s’éclaircit. De noire elle devint grise, puis blanchâtre. Elle semblait apporter avec elle des rayons et des fleurs, car elle chassa les démons de son nimbe rose et venait seule maintenant. Un jour, elle se montra presque transparente, dans la blancheur d’une aube incertaine, et tendit ses deux bras vers Zoroastre comme en un geste ineffable d’adieu. Elle resta longtemps ainsi, toujours muette et voilée. Puis, d’un autre geste, elle montra le soleil naissant, et, tournée vers lui, se dilua dans son rayon, comme absorbée et bue par sa chaleur.

Zoroastre s’éveilla et marcha jusqu’au bord de la grotte qui surplombe l’abîme. Il faisait grand jour ; le soleil était haut dans le ciel. À ce moment, quoiqu’il n’eût point vu le visage de l’Ombre, le solitaire eut le sentiment irréfragable que ce fantôme était l’âme d’Ardouizour et qu’il ne la reverrait plus en ce monde.

Il resta longtemps immobile. Une douleur aiguë le poignait ; un torrent de larmes silencieuses s’échappa de ses yeux. Le froid les gelait dans sa barbe. Puis il monta vers le sommet de sa montagne. Des stalactites de neige gelée pendaient aux branches des vieux cèdres et fondaient au soleil printanier. La neige étincelait en cristaux sur les cimes et toute la chaîne de l’Albordj semblait pleurer des larmes durcies, des larmes de glace.

Les trois jours et les trois nuits qui suivirent furent pour Zoroastre le pire temps de désolation. Il vivait la Mort, non pas la sienne propre, mais celle de tous les êtres ; il habitait en Elle et Elle campait en lui. Il n’espérait plus rien, il n’invoquait même plus Ormuz et ne trouvait de repos que dans un brisement de tout son être qui amenait l’inconscience.

Mais voici que, la troisième nuit, au plus profond de son sommeil, il entendit une voix immense, pareille au roulement d’un tonnerre qui finirait en un murmure mélodieux. Puis, un ouragan de lumière se rua sur lui d’une telle violence qu’il crut qu’on chassait son âme hors de son corps, il sentait que la puissance cosmique, qui le hantait depuis son enfance, qui l’avait comme cueilli dans sa vallée pour le porter à sa cime, que l’Invisible et l’Innommable allaient se manifester à son intelligence dans le langage par lequel les dieux parlent aux hommes. Le Seigneur des esprits, le roi des rois, Ormuz, le verbe