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— Je l’ignore, mon fils. Ahoura-Mazda te le dira… Va à la montagne !

Zoroastre, vêtu de peaux de mouton, passa dix ans à l’extrémité de la grande forêt de cèdres, dans la grotte suspendue sur le gouffre. Il vivait de lait de buffle et du pain que les pâtres de Vahoumano lui apportaient de temps en temps. L’aigle, qui nichait dans les rochers au-dessus de la grotte, l’avertissait par ses cris du lever du soleil. Quand l’astre d’or chassait les brumes de la vallée, il venait voler quelques instans à grand bruit d’ailes devant la caverne, comme pour voir si le solitaire dormait, puis il dessinait quelques cercles au-dessus de l’abîme et partait pour la plaine.

Des années passèrent, disent les livres persans, avant que Zoroastre entendît la voix d’Ormuz et vît sa gloire. Ce fut Ahrimane qui l’assaillit d’abord avec ses légions furieuses. Les jours du disciple de Vahoumano coulaient tristes et désolés. Après les méditations, les exercices spirituels et les prières de la journée, il pensait au destin des Aryas opprimés et corrompus par l’Ennemi, il repensait aussi au sort d’Ardouizour. Que devenait la plus belle des Aryennes aux mains du Touranien hideux ?

Avait-elle noyé son angoisse dans quelque fleuve ou subi son ignoble destin ? Suicide ou dégradation, il n’y avait pas d’autre alternative. L’une et l’autre était affreuse. Et Zoroastre voyait sans cesse le beau corps sanglant d’Ardouizour ligotté d’une corde. Cette image sillonnait la méditation du prophète naissant comme un éclair ou comme une torche.

Les nuits étaient pires que les jours. Ses rêves nocturnes dépassaient en horreur les pensées de sa veille. Car tous les démons d’Ahrimane, tentations et terreurs, venaient l’assaillir sous des formes hideuses et menaçantes d’animaux. Une armée de chacals, de chauves-souris et de serpens ailés envahissait la caverne. Leurs voix glapissantes, leurs chuchotemens et leurs sifflemens lui inspiraient le doute sur lui-même, la peur de sa mission. Mais, le jour, Zoroastre se représentait les milliers et les milliers d’Aryas nomades opprimés par les Touraniens et secrètement révoltés contre leur joug, les autels souillés, les blasphèmes et les invocations maléfiques, les femmes enlevées