Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand le jeune chef rouvrit les yeux, sous la tente où ses compagnons l’avaient transporté, il aperçut au loin une femme liée sur la selle d’un cheval. Un cavalier sauta sur la bête, serra la femme dans ses bras, et toute une troupe de Touraniens aux longues lances, montés sur leurs chevaux noirs, s’élança à sa suite. Bientôt cavaliers, chevaux, croupes et sabots rués en l’air, disparurent dans une nuée de poussière avec la horde sauvage.

Alors Ardjasp se souvint des paroles d’Ardouizour près de la source de lumière, sous les pins odorans : « Celui qui boira de cette eau sera brûlé d’une soif inextinguible, — et seul un Dieu peut l’étancher ! » Il avait soif dans le sang de ses veines, dans la moelle de ses os, soif de revanche et de justice ; soif de lumière et de vérité, soif de puissance pour délivrer Ardouizour et l’âme de sa race !


II. — LA VOIX DANS LA MONTAGNE ET LE VERBE SOLAIRE

Le cheval galopait ventre à terre à travers plaines et collines. Ardjasp regagna les monts de l’Albordj. Il retrouva, à travers maint rocher, la route du vallon aux herbes fleuries, entre les cimes de neige. En s’approchant des huttes de bois, il vit des laboureurs qui fendaient le sol avec la charrue attelée de chevaux fumans. Et la terre, rejetée le long des sillons, fumait aussi de plaisir sous le soc tranchant et les durs sabots. Sur un autel de pierre, en plein champ, dormait un glaive, et par-dessus reposait en croix une gerbe de fleurs. Ces choses rassérénèrent le cœur d’Ardjasp. Il trouva Vahoumano, le vénérable patriarche, assis sous sa tente et rendant la justice à sa tribu. Ses yeux étaient pareils au soleil d’argent qui se lève entre les cimes de neige et sa barbe, d’un blanc verdâtre, semblable aux lichens qui recouvrent les vieux cèdres, aux flancs de l’Albordj.

— Que demandes-tu de moi ? dit le patriarche à l’étranger.

— Tu sais le rapt d’Ardouizour par le roi Zohak, dit Ardjasp. J’ai vu son supplice à Baktra. Elle est devenue la proie du Touranien. On dit que tu es un sage ; tu es le dernier-héritier des prêtres du soleil. Tu es de ceux qui savent et qui peuvent par les Dieux d’en haut. Je viens chercher auprès de toi lumière et vérité pour moi, justice et délivrance pour mon peuple.

— As-tu la patience qui brave les années ? Es-tu prêt à