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Des centaines de fleurs blanches, rouges, jaunes et bleues penchaient leurs étoiles et leurs calices en gerbes sur la source bleue. Ardjasp s’y pencha aussi. Il avait soif et but à longues lampées dans le creux de sa main de l’eau cristalline. Puis il s’en alla et ne s’inquiéta plus de cette aventure. Seulement, il repensait quelquefois à la vallée verdoyante, ceinte de pics inaccessibles, à la source d’azur sous les pins parfumés et à la nuit profonde des yeux d’Ardouizour d’où sortaient des éclairs bleus et des flèches d’or.

Des années se passèrent. Le roi des Touraniens, Zohak, triomphait des Aryas. Dans l’Iran, sur un contrefort de l’Indou-Kousch, à Baktra[1], une cité de pierre, une forteresse s’éleva pour commander aux tribus nomades. Le roi Zohak y convoqua toutes les tribus aryennes qui devaient reconnaître sa puissance. Ardjasp s’y rendit avec ceux de sa tribu, non pour se soumettre, mais pour voir l’ennemi face à face. Le roi Zohak, vêtu d’une peau de lynx, occupait un trône d’or placé sur un tertre couvert de peaux sanglantes de buffles. Autour de lui, en un grand cercle, se tenaient les chefs armés de longues lances. D’un côté, un petit groupe d’Aryas ; de l’autre, des centaines de Touraniens. Derrière le roi, s’ouvrait un temple fruste, taillé dans la montagne comme une sorte de grotte. Deux énormes dragons de pierre, grossièrement taillés dans les rochers de porphyre, en gardaient l’entrée et lui servaient d’ornement. Au centre brûlait un feu rouge sur un autel de basalte. On y jetait des ossemens humains, du sang de taureau et des scorpions. De temps à autre, on voyait se lever, derrière ce feu, deux énormes serpens qui se chauffaient à sa flamme[2]. Ils avaient des pattes de dragon et des capuchons charnus à crêtes mobiles. C’étaient les derniers survivans des ptérodactyles antédiluviens. Ces monstres obéissaient aux bâtons de deux prêtres. Car ce temple était celui d’Angra-Mayniou (Ahrimane), le seigneur des mauvais démons et le dieu des Touraniens.

Ardjasp était à peine arrivé avec des hommes de sa tribu que des guerriers amenèrent devant le roi Zohak une captive. C’était une femme magnifique, presque nue. Un lambeau de

  1. L’actuelle Balk, en Baktryane.
  2. De là vient que, dans les traditions persanes du Zerduscht-Natnèh et du Schah-Namèh, le roi Zohak est représenté avec deux serpens qui lui sortent des épaules.